jeudi 8 novembre 2012

Kaboul mercredi 7 novembre 2012




Courte nuit: je suis appelée à 1h, alors que je dors depuis peu. Le garde tambourine à ma porte. - "Dr Mary ! come, Dr Amina needs you". OK, I am coming, mais il va falloir mettre les choses au point dès demain. Passer toute la journée au bloc, bien sûr, je suis venue pour ça; les aider quand ils en ont besoin, of course, mais bosser toutes les nuits pendant 15 jours, c'est non. Amina, désolée, m'explique qu'elle a appelé Abdullah, l'anesthésiste de garde mais qu'il n'a pas voulu se lever et lui a dit de m'appeler. Je ne discute pas, ça n'est ni le moment ni l'endroit. Je réveille Salim, l'infirmier anesth de garde sur place, et Massoud, l'OT nurse, et nous partons au bloc. Il est 3 heures quand je ramène le petit intubé en ICU, 3h30 quand je regagne ma chambre, à 4h, je n'ai toujours pas réussi à me rendormir.

À 7h30 au petit déje, Alexander qui a entendu le garde, me demande ce que j'ai fait. Il me dit que l'anesthésiste d'astreinte doit venir car il touche une rémunération pour cela et qu'il est hors de question que je bosse toutes les nuits. Même son de cloche au bloc où j'arrive à 8h et où Rassoul, déjà au courant, est furax. Il appelle Abdullah pour lui passer un saxo et celui-ci répond que sa sœur étant malade, il ne bosse pas aujourd'hui. Rassoul va exploser, il devient rouge, arrête de respirer puis reprend une inspiration bruyante et hurle au téléphone. Colère sans effet, nous n'avons pas vu Abdullah de la journée. Bon alors, on se calme et on se répartit le travail car il y a plus de 15 enfants à endormir et, même si certains gestes sont courts, la journée va être longue. Je pars au bloc 1 avec Salim et M. Din faire les fentes palatines chez les petits. Nous y passons la matinée, au rythme de la musique afghane que diffuse la radio.

Déjeuner à la cantine avec M. Din. Le temps change, le ciel est moins bleu, moins pur, le soleil moins lumineux et quelques traînées blanches zèbrent la montagne. Pleuvra-t-il ce soir ? En partageant notre assiette de riz aux lentilles - j'en mange, j'en mange, ah miam miam pour le fer - M. Din me raconte qu'au début de l'hiver dernier sa maison s'est tout simplement... effondrée, à cause des pluies incessantes. Voilà, un soir, comme ça, à la maison, un grand bruit et les murs en torchis qui bougent et s'affaissent comme un vulgaire château de cartes. Il est sorti avec sa femme et ses enfants et ils se sont réfugiés plus loin dans une maison amie. Le lendemain, il ne restait qu'un tas de boue et leurs affaires imbriquées. Il a sauvé ce qu'il a pu et a reconstruit sa maison, plus loin. Aujourd'hui, comme avant, l'eau ne coule au robinet qu'une heure par jour, les bons jours. Certains jours elle ne coule pas, elle coulera demain... peut-être... inch Allah !!! Et qui vient de dire qu'il n'avait pas assez de pression pour sa douche ? 

Retour au bloc, café dans le bureau de Rassoul, nous fêtons la réélection d'Obama, une grande nouvelle pour le monde, une bonne nouvelle pour l'Afghanistan. Ça n'est pas l'avis de Djalil et ça m'étonne beaucoup, mais on est là sur un terrain glissant où il est dangereux de s'aventurer.
Reprise du programme, nous tournons sur 2 salles; près de 5 heures d'intervention en chirurgie digestive pour ce petit garçon qui n'a pas encore 2 ans et que sa maman décomposée me confie. Elle est assise par terre, voilée, devant la porte du bloc et attend que nous terminions. Rassoul "m'abandonne" à 17h, je reste avec Waheed, l'infirmier de garde; il est 20 h quand nous terminons. Transfert en réa où nous avons fait libérer un lit.
Je viens de faire 12 h de bloc et c'est bon, je rentre et je repasserai dans la soirée voir si tout est ok.

Ce soir, en ICU, un autre enfant va mourir et je me demande si cet homme au turban beige flétri, accroché aux barreaux du lit, est son père ou son grand-père. Vieilli par le temps, usé par le vent, les mains nouées, on dirait qu'il s'effrite. Il murmure je ne sais quoi et sa voix se perd dans l'espace dans une litanie de tombes grises que l'on imagine aisément. Et je voudrais que la vie se mette en veilleuse pour respecter cette mort imminente. Dehors, dans la nuit afghane, tout reste trouble et désarticulé et mon sommeil se peuple de rêves incertains. 


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