dimanche 25 novembre 2012

Journal du Dimanche



Le Journal du Dimanche publie ce jour un article sur la présence française en Afghanistan à l'heure du retrait militaire de la France. Ils sont venus m'interviewer pendant que j'étais à Kaboul. En voici deux extraits:






vendredi 16 novembre 2012

Images d'Afghanistan


Chirurgie à cœur ouvert à Kaboul, avec — en fin de séquence — le redémarrage du cœur à l'issue de l'intervention:








Deux semaines d'automne afghan au FMIC (French Medical Institute for Children) de Kaboul...









































Amour bleu...









Aéroport de Kaboul jeudi 15 novembre 2012



Et voilà, dernier jour de mission, dernier soleil sur les montagnes de Kaboul,
dernière matinée au bloc, dernier repas à la cantine. Bon, j'arrête de m'attendrir, dernier rien puisque je reviendrai pour un nouveau premier jour de mission, premier soleil, première matinée au bloc...

... Au bloc où ça commence très fort : arrêt cardiaque à l'induction chez un petit de 6 mois dans la salle à côté de la mienne, récupéré au bout d'une dizaine de très longues, trop longues minutes. Intervention annulée, surveillance en recovery, réveil du bébé au bout de 20 minutes et extubation. Rassoul est optimiste, mais nul n'est sûr aujourd'hui qu'il n'aura pas de séquelles. Si l'on reprend l'histoire, c'est une accumulation d'erreurs qui a conduit au drame : atropine non prête, impérative avant toute anesthésie, aspiration non vérifiée et non fonctionnelle, idem que pour l'atropine donc check list non conforme - même combat en anesthésie qu'avant le décollage d'un avion - intubation difficile, et le jeune anesthésiste qui insiste, intube dans l'estomac et ne passe pas la main, vomissements de l'enfant probablement non à jeun... Problème de l'éducation des parents... Au total un accident d'anesthésie grave qui n'aurait pas dû arriver et dont Rassoul doit débriefer avec tout le staff pour que cela ne se renouvelle jamais. Ce qui m'interpelle, c'est qu'aucun des acteurs présents ne semble affecté, d'où debriefing impératif aujourd'hui même, Rassoul est d’accord.

Arrivée d'un journaliste qui veut faire une interview pour le Journal du Dimanche. Quelques photos au bloc et nous descendons discuter un moment à la guest house. Je ne suis pas sûre que l'article en lui-même ait un intérêt majeur en dehors, et cela est essentiel, de parler de l'action formidable de La Chaîne de l'Espoir à Kaboul et des progrès immenses accomplis, à tous les niveaux, depuis l'ouverture du F.M.I.C.
On lira, on verra...

À 13h, je quitte le bloc en écourtant les adieux et Rassoul m'embrasse en me remerciant, étonnant Rassoul. Dernier repas à la cantine avec mes amis afghans, à la guest house bisous à Alexander et à Najib, je boucle mon sac qui est vide en dehors des raisins, des noix et des amandes que les uns et les autres m'ont offerts. Je dois être à 14h au rendez-vous pour le départ à l'aéroport.
Effectivement à 14h, le garde, mon sac et le chauffeur, sourire édenté dans un visage buriné. Nous quittons le FMIC. Pour éviter les innombrables embouteillages, il se croit obligé de prendre des raccourcis défoncés; j'ai le dos explosé en arrivant à l'aéroport. Contrôles de sécurité obligés, on a l'habitude. À trois reprises, je descends du 4x4 pour la fouille réglementaire, globalement sans agressivité en dehors d'une grosse qui aboie parce qu'elle fait la sieste et que je la réveille. Laissons-la aboyer et se recoucher. Plus de deux heures d'attente avant que ne débute l'enregistrement sur le vol FlyDubai; je suis la seule femme, voilée bien sûr, et les hommes commencent à s'asseoir par terre ou à faire leur prière. Ils commencent aussi à s'énerver, à crier, à se bousculer, et à me bousculer dans cette queue où je suis un peu comprimée au milieu de valises énormes et de ballots démesurés. Je protège tant bien que mal le cerf-volant offert par M. Din, enveloppé dans un carton sale. Mais pour qui se prend ce géant à longue barbe et au turban noir qui passe devant tout le monde et me regarde méchamment ? C'est moi qui baisse les yeux la première. Et ce crâneur qui joue à l'homme d'affaires pressé, iPhone dans une main, attaché case dans l'autre, me marche sur les pieds because flyDubai... Et nous tous, connard, tu crois qu'on joue à la marelle ?




Décollage dans une heure. Comme d'hab, j'ai le blues, comme d'hab, je n'ai pas envie de rentrer. Je vais voler de nouveau vers un quotidien qui décale. Comment refaire demain de la chirurgie esthétique ? Comment expliquer ? Comment raconter ? Comment partager ?
Mais je sais la chance qui m'est donnée de pouvoir venir ici et je suis heureuse et fière de la confiance qui m'est accordée pour cette mission afghane. Je laisse ici des amis, des enfants endormis, des enfants blottis dans mes bras, je laisse ici un petit peu de mon cœur et je laisse aussi la promesse de revenir bientôt.

Il fait nuit... Lumières de Kaboul comme autant de bougies... Flammes incertaines qui vacillent dans la brume qui se lève... J'ai envie de pleurer, c'est con, hein ? Dans ma tête déjà les souvenirs s'estompent et ne seront bientôt que des souvenirs de souvenirs. Je ferme les yeux pour mieux fixer l'instant, je vole, je vole...


Merci d'avoir partagé avec moi ce voyage en Afghanistan et d'avoir offert un peu de tendresse aux enfants de Kaboul, cette tendresse sans laquelle ils ne sauront pas grandir.

jeudi 15 novembre 2012

Kaboul mercredi 14 novembre 2012



Petit matin frisquet où il ferait bon rester sous la couette, soleil toujours radieux qui réchauffe le cœur et insuffle l'énergie pour partir travailler. Je déjeune au calme... et au frais... Malgré les demandes réitérées d'Alexander, le chauffage n'est toujours pas réparé. Le thé chaud fait du bien, le pain afghan grillé est un régal, malgré un arrière-goût de fin de mission. Juste ne pas y penser, profiter à fond de chacun, de chaque enfant, de chaque instant, de chaque regard, de chaque sourire.

En arrivant au bloc, je demande à Rassoul l'autorisation de passer la matinée avec Najib en chirurgie cardiaque. Il y a une seule intervention à coeur ouvert, fermeture de communication interauriculaire; M. Din gère la C.E.C. (circulation extra corporelle) et semble très fier de me montrer ce qu'il sait faire. La réponse de Rassoul ne se fait pas attendre : -" why not "? Je file avant qu'il ne change d'avis. Nasim, l'anesthésiste, me laisse gentiment poser la voie veineuse centrale, M.Din prépare sa machine et il faut une bonne heure de préparation de l'enfant avant le début de l'intervention. Je n'ai jamais vu de chirurgie à cœur ouvert et Najib m'explique tout ce qu'il fait, c'est passionnant et impressionnant. Démarrage de la C.E.C. qui va suppléer à la fonction cardiaque le temps de l'intervention. Le cœur s'arrête et Najib met une rustine avec un morceau de péricarde sur le trou qui fait communiquer les 2 oreillettes. La reprise de l'activité cardiaque laisse le temps en suspens au fil des minutes qui défilent sur l'horloge et du scope qui affiche le rythme... 45... 60... 50... Najib masse le cœur... 60... 50... et puis lentement le muscle se remet à battre régulièrement 70... 80... 90... Arrêt de la C.E.C., rideau, applaudissements. M. Din gère ses tuyaux tel un organiste, tournant ses manettes, déplaçant ses pinces, heureux et fier de sa prestation. Nous transférons l'enfant en ICU.

Au bloc, il ne reste que 2 interventions; pause déjeuner avec M. Din qui est de repos demain et que je ne reverrai pas. Adieux un peu tristes en forme d'au revoir; nous nous embrassons, nous nous serrons dans les bras l'un de l'autre et nous repartons chacun vers un destin aux couleurs bien distinctes. Johana repart au bloc, je vais au meeting pour l'accréditation américaine avec Alexander et quand je reviens, je retrouve Johana de très mauvaise humeur. Il y a 2 infirmiers et un médecin anesthésiste en salle en plus d'elle, elle trouve qu'elle ne sert à rien, je n'sais pas. À la différence de moi qui suis la reine des bonnes poires et qui dit oui à tout, elle semble ne pas vouloir se laisser faire; aussi à la différence de moi qui suis là pour 15 jours, elle va rester 6 mois, alors... Elle veut parler à Rassoul demain, je la laisse gérer.

Dernier soir à Kaboul, nous avons parlé longtemps avec Najib. Il est tard et nous montons en réa voir la fillette qu'il a opérée. Elle est calme dans son lit, peu douloureuse, souriante, un peu perdue dans cette grande salle où, comme chaque nuit, le bruit agresse et la lumière aveugle. A-t-elle compris que son coeur est réparé, qu'elle va désormais revivre, jouer, courir sans être perpétuellement fatiguée et dangereusement essoufflée ? Najib la regarde avec tendresse : -" Tu vois, bientôt elle pourra se marier et avoir des enfants." Bientôt ? Mais, Najib, elle n'est encore qu'une enfant de 12 ans...

Dernière nuit à Kaboul, je vais rêver peut-être de cette petite fille au cœur tout neuf et de tous ces autres cœurs que Najib est revenu faire battre.

mercredi 14 novembre 2012

Kaboul mardi 13 novembre 2012



Arrivée au bloc vers 8h. Les hommes afghans s'embrassent en enchaînant de longues formules de politesse, c'est la coutume ici. Par contre, ce qui n'est pas du tout la coutume, c'est qu'un homme embrasse une femme en public et pourtant mon ami Mohamed Din m'embrasse tous les matins, mais il ne pourrait pas le faire s'il était musulman pratiquant, m'a expliqué Salim. Bon, ça tombe bien, on est "mousslime" ni l'un ni l'autre...

Et de bon matin, pendant le traditionnel meeting de début de bloc dans le bureau de Rassoul, arrivent Alexander et Leila. Leila est pakistanaise, c'est l'infirmière surveillante générale de l'hôpital. Ils viennent pour l'accréditation américaine J.C.I.A. vérifier les temps de mise en route du bloc. Et ils ne vont pas être déçus; aujourd'hui, pas de bol, ça ne démarre pas, on attend les enfants qui n'arrivent pas, ça coince en amont. Quand le 1er arrive, tout le monde se précipite et ça en devient ridicule. Alors que Waheed a déjà tout vérifié et mis l'enfant sur le brancard de transfert, l'OT nurse reprend l'enfant, le remet sur le premier brancard et reprend l'interrogatoire. OK, on récupère le colis, mais en fait, non, on ne récupère rien car le 2ème OT nurse, plus zélé que le 1er, arrive avec un marqueur, reprend tout à zéro et marque sur le ventre de l'enfant qui hurle le côté de la hernie. Le père, imperturbable, répond pour la 3ème fois au même questionnaire. Nous pouvons enfin rouler vers le bloc. 
Je signale à Alexander que tous les distributeurs de manugel sont vides au bloc et dans les vestiaires; j'en parle tous les jours depuis mon arrivée, sans efficacité aucune. Alexander et Leila s'en sont aussi aperçus et c'est pareil en IPD. C'est ennuyeux pour l'accréditation car ce geste simple, devenu réflexe, de nettoyage des mains par une solution hydroalcoolique est essentiel pour la prévention des infections. Alexander me conforte dans mon idée de faire le forcing pour que les distributeurs soient remplis. Je vais reprendre les hostilités demain auprès de la chef de bloc.

Johanna arrive vers 10h, elle revient de l'administration où on lui a donné son badge et un téléphone; elle prend tranquillement ses marques sous les ordres de Rassoul et je lui montre comment remplir la montagne de papiers pour chaque enfant.

Djalil, le chirurgien, a envie de discuter. Il m'appelle Mary Jan, ce qui veut dire chère; c'est une particule que l'on rajoute après le prénom des gens que l'on aime bien et c'est une marque d'affection. Il me parle de la France et de ses amis français. Ce sont tous des chirurgiens ou des anesthésistes qui sont venus travailler au FMIC. Il me parle aussi de mes autres missions humanitaires et me dit qu'il aimerait bien partir avec moi. Comme dirait Rassoul quand je lui demande quelque chose : why not ?

Il y a 18 enfants au programme et tout le monde n'a pas le temps de descendre à la cantine. Nasreen, la surveillante du bloc, fait monter un plateau pour Waleed et moi tandis que Rassoul part avec Johana. C'est encore le jour de la soupe gluante et beuuuurk et le riz est un peu bof, mais on ne peut pas, tous les jours, avoir un délicieux riz palao. Najib déjeune avec nous au bloc et me propose de venir avec lui pour sa dernière intervention de chirurgie cardiaque, une tétralogie de Fallot, malformation cardiaque grave et compliquée. Of course ! Premiers pas dans cette anesthésie très particulière et voir Najib opérer est un bonheur; transfert de l'enfant en ICU. Il est 19h quand nous rentrons, je n'ai pas vu la journée passer.

Allez, "rudda affiz, chabarrère".... bye bye and good night... 

mardi 13 novembre 2012

Kaboul lundi 12 novembre 2012




Retour de Rassoul ce matin et meeting dès 8h dans son bureau. Le Dr Rasha, un jeune anesthésiste, annonce que sa femme a accouché cette nuit de son 4ème enfant; son aînée a 10 ans et il semble très heureux. Changement de rythme; quand Rassoul est là, on ne rigole plus et, à 8h15, tous les enfants sont en salle et les inductions commencent. Cette fois, personne ne discute et chacun est à son poste. Je ne pense pas qu'aujourd'hui on joue beaucoup au billard ou à la guerre. Et moi je valse O.T. 4 (operating theatre),
O.T. 2 and back to O.T. 4, mais je m'en fous. Chirurgie réparatrice après brûlure d'une partie de la face chez un jeune garçon de 12 ans. Son oreille ressemble à tout sauf à une oreille et je me demande quel sera le résultat final car c'est une chirurgie très spécialisée. Youssouf est l'infirmier anesthésiste de cette salle et je n'aime pas beaucoup travailler avec lui parce qu'il est très prétentieux et joue au docteur, ne supportant aucune remarque en dehors de celles de Rassoul. Je l'appelle Dr Youssouf et je crois que ça l'agace un peu. La cuve de gaz anesthésique est vide, je le lui dis, il secoue la tête et ne bouge pas. Quelques minutes plus tard, l'enfant se réveille, le chirurgien gueule et cette fois il remplit la cuve. Je me contente de sourire, mais je ne dis rien, je ne veux surtout pas de conflit.

Nouveau kyste hydatique pulmonaire : thoracotomie chez une petite fille de 6 ans. C'est une pathologie fréquente ici, transmise par les chiens qui, bien sûr, ne sont pas vermifugés, avec des localisations essentiellement pulmonaires et hépatiques. Comme il y a 3 jours, je suis avec Waheed et nous nous préparons à passer un moment délicat à l'incision du kyste. Décharge d'adrénaline au plus fort de la tempête et le calme revient, l'enfant va bien, nous n'avons pas vu Rassoul... Pendant cette intervention, entre au bloc un homme dont la longue barbe dépasse des 3 masques dont il a couvert son visage. Il me met très mal à l'aise et celui-là, je suis sûre que c'est un "mousslime" pur et dur. Waheed me dit qu'il vient d'un autre hôpital juste pour un training et ça me rassure de ne pas le voir tous les jours. Il est 15h quand nous descendons déjeuner, Rassoul, Waheed et moi, vite, vite, avant la fermeture de la cantine et on nous sert un délicieux riz palao, avec des raisins et des lamelles de carottes, je me régale. 

Nous remontons au bloc, mais le programme est en fait terminé. J'en profite pour aller à la réunion que fait chaque après-midi à 16h Alexander pour l'accréditation américaine qui doit se passer en 2013 et qui est un boulot de titan. Les Afghans semblent impliqués dans le processus car ils sont une bonne trentaine cet après-midi, attentifs aux propos d'Alexander qui se donne un mal fou pour faire avancer la machine d'une lourdeur administrative que chacun peut imaginer. À la fin de la réunion, il me parle de la chirurgie cardiaque qui l'inquiète pour cette accréditation. C'est la vitrine de La Chaîne de l'Espoir à Kaboul et c'est "touche pas à mon pote" depuis Paris. Mais en dehors de Najib qui est afghan et respecte les standards de l'hôpital, chaque équipe française arrive en roulant des mécaniques, fait ce que bon lui semble, réclame 5 lits de réa, prescrit en Français et non en Anglais, explique qu'elle est la meilleure parce qu'à Nantes on ne fait pas comme à Toulouse, ni comme à Paris et le personnel afghan n'y comprend plus rien. Quand on voit avec quelle simplicité les choses se passent avec Najib, on ne peut que regretter qu'il ne veuille pas rester à plein temps au FMIC, mais on peut aussi le comprendre. 
À la grille de l'hôpital, c'est un ballet incessant d'hommes et de femmes en burka, serrant dans leurs bras des enfants. Tous sont fouillés à l'entrée; la sécurité est très stricte et nul n'échappe aux gardiens.

Ce soir, pas d'eau chaude et j'écourte la douche car je grelotte, le chauffage de la salle de bain étant cassé. Raviolis aux herbes pour le dîner, c'est carrément la fête sauf que le chauffage ne fonctionne pas non plus dans la salle à manger et qu'on dîne avec 3 pulls, 2 polaires et 1 écharpe. Et je pense aux familles qui vivent dans les maisons en terre dans les collines au-dessus de Kaboul où il doit aussi faire très froid. Arrivée ce matin de Johana, l'interne d'anesthésie; elle a l'air cool, ça devrait bien se passer. 

En ICU, il ne fait pas très chaud non plus. Les enfants tentent de se reposer sous le regard apeuré ou épuisé des parents qui les couvent. Les machines bipent, les infirmiers s'interpellent , c'est bruyant et fatigant, mais les petits se battent parce qu'ils n'ont pas le choix et je les crois, moi, vraiment doués pour la vie. 

dimanche 11 novembre 2012

Kaboul dimanche 11 novembre 2012



Très bonne nuit qui fait du bien, nuit sans rêves et sans appel de la réa qui plombe le sommeil. Je resterais bien un peu au lit mais, derrière le rideau, le soleil me fait un petit clin d'œil qui veut dire debout. Petit déje avec Alexander et départ à l'hôpital dans ce petit matin frais d'un automne qui s'avance au parfum de début d'hiver.

Au bloc, Rassoul est off; invité à un mariage hier soir, il a dû faire la bringue toute la nuit. Et quand  Rassoul est off et qu'il y a beaucoup de travail au bloc, personne ne bat correctement la mesure, et c'est, à 8h15 déjà, un joyeux bordel qui s'annonce. Aucun patient n'a encore été appelé, chacun discute dans son coin, les plus futés se sont enfermés dans l'office et boivent un thé... Ben voyons... Ça finit par bouger, lentement et péniblement, mais les enfants arrivent quand même et chacun récupère le sien dans le sas. En chirurgie cardiaque, il y a deux enfants prévus aujourd'hui, opération à cœur fermé, fermeture de canal artériel. C'est devenu une chirurgie "banale" que le staff local maîtrise parfaitement.
Ce qui est moins banal, c'est ce petit bonhomme de 7 ans, porteur d'une tétralogie de Fallot et qui a une hémiplégie; le scanner a révélé un abcès cérébral qu'il faut évacuer. Du fait de sa cardiopathie, il est très cyanosé et il arrive épuisé, tenant, avec sa main gauche, sa main droite paralysée. Cardiopathie + neurochirurgie, je ne gère pas et c'est le Dr Nasim qui s'est spécialisé en anesthésie pour la chirurgie cardiaque qui vient à ma rescousse et tout se passe bien avec un chirurgien performant. Depuis six ans, ils sont devenus bons dans toutes les spécialités grâce aux missions françaises et aux stages qu'ils ont faits en Inde, au Pakistan ou, pour les plus chanceux, en France. Et, pendant ce temps, le gros infirmier de salle de réveil joue au billard, avec un infirmier anesth, sur  l'ordinateur de la banque du bloc. Ça va peut-être me mettre un peu en colère. Le réveil est géré, entre deux prières, par sa copine voilée et vogue la galère ! Elle ne vogue pas longtemps car Nasim, qui me semble remplacer Rassoul en son absence, pousse un coup de gueule court mais bref qui renvoie les boules de billard dans leurs trous et les joueurs dans leurs salles. Bon, on reprend. Le petit avec l'abcès cérébral part en ICU, on réveille la hernie et on appelle - tiens, mais où est passé le responsable de l'appel des patients ?  - donc, dès qu'on l'a retrouvé, on appelle le petit de 4 ans pour une lithotritie. Nasim est reparti en chirurgie cardiaque, le gros est de nouveau à l'ordi où il joue à la guerre et ça va peut-être me mettre encore un peu plus en colère. Deuxième lithotritie, hernie, fente palatine, je déjeune vite fait entre deux, sans M. Din qui est en chirurgie cardiaque et qui a déjà mangé. Mais je retrouve à la cantine - où c'est de nouveau le jour de la soupe aux yeux gluants - euh... pour la recette, c'est ok ? tout le monde l'a ? - l'ingénieur qui parle Français et avec qui je partage un court mais excellent moment.

Dernière fente palatine, importante, près de 3h au bloc. Salle de réveil avec Salim qui est de garde. Nous parlons longuement de la religion musulmane - j'vous l'fais phonétique pour musulmane : "mousslime" - non pas mousseline comme la purée, mousslime - dont il m'explique les joies, que du bonheur en fait. Nous les filles, on planque tout sauf les yeux, visage toléré, c'est selon, on cause pas aux mecs et si on désobéit on se fait taper dessus. Évidemment, on ne vit avec un homme que si l'on est mariée, sinon... Ben sinon, on se fait lapider, c'est pas plus compliqué qu' ça. Pour le quotidien, c'est cool, on reste à la maison avec les enfants, on fait la prière 5 fois par jour et il me l'assure, on est très heureux... Et je n'ai aucune raison de ne pas le croire sauf que, pour me convertir, je crois que je vais attendre encore un peu. Maintenant, il veut absolument m'offrir un cadeau pour rapporter en France et propose... des kébabs ! - "Ben,oui, c'est une super bonne idée mais tu crois vraiment qu'elles vont faire le voyage ? - Pas de problème ! - Mais chuis végétarienne !" Là ça l'interpelle et je crois que finalement il va m'offrir des raisins secs et ici, ils sont délicieux.

19h : retour maison. Soirée au calme, fin d'une journée ordinaire d'une mission ordinaire à Kaboul. Demain arrive Johanna, une jeune interne d'anesthésie parisienne qui a pris quelques mois de dispo pour travailler au FMIC. Je suis chargée par La Chaîne de l'Espoir de l'aider à prendre ses marques pendant les quelques jours qui restent avant mon départ. Je vais vite fait la mettre dans la poche de Rassoul et tout ira bien, c'est sûr, because avec Rassoul, ça roule ... ou, c'est cool ! Bon, c'est pas drôle, ok, mais c'est la fin de la journée et je vous envoie à tous plein de bisous des petits de Kaboul.

Kaboul samedi 10 novembre 2012



Une semaine déjà, le temps passe vite et je ne veux pas penser au week-end prochain où je serai de nouveau de garde à la clinique à subir les caprices de chirurgiens trop gâtés. Dans l'immédiat, je profite de l'instant et de la chance qui m'est donnée de pouvoir bosser ici. Le programme est plutôt moins lourd ce matin et nous pouvons encore tourner sur 4 salles. Demain commence le programme de chirurgie cardiaque qui bloque un secteur et ne laisse que 2 salles dispos pour le reste des interventions; ça se complique toujours un peu pendant les missions de chir cardiaque et il y a parfois une certaine tension entre les chirurgiens qui ne peuvent plus disposer de tout le bloc. Plusieurs enfants arrivent aujourd'hui dans la maison de Kate. Ils vont être opérés par Najib, passer 24 h ou 48 h en ICU, quelques jours en IPD - hospit pédiatrique - et retourner chez Kate pour leur convalescence avant de rentrer à la maison.

Orthopédie ce matin, dysplasies de hanches sur luxations congénitales et pieds bots, il y en a énormément en Afghanistan et on en opère plusieurs par jour en associant anesthésie générale et bloc caudal pour l'analgésie post op car ce sont des petits.
À la différence de la mission Mongolie avec Médecins du Monde ou de la mission Bangladesh, il n'y a ici aucun problème de matériel. L'équipement de l'hôpital est moderne, moniteurs, respirateurs d'anesthésie et nous avons tous les médicaments et le matériel dont nous avons besoin. L'approvisionnement se fait par l'APHP, les hôpitaux de Paris, via La Chaîne de l'Espoir et l'acheminement est assuré par containers transportés par l'Armée française. Mais avec le retrait annoncé des troupes, le problème du transport va rapidement se poser.

 Alors que le programme se déroule tranquillement, nous sommes appelés en ICU, -"in emergency, Dr Mary". Je me précipite avec Rassoul mais tout semble calme. Calme en ICU, yes, mais dans un bureau à côté, c'est règlement de comptes à OK Corral. Un infirmier vient de cogner à coups de poings le surveillant de l'unité qui est par terre, KO technique, tandis que plusieurs infirmiers tentent de maîtriser leur copain qui a pété un câble. Je m'éloigne pour ne pas me prendre, moi aussi, un mauvais coup. Alexander arrive pour expédier l'un au scanner, l'autre chez le directeur qui le vire sur le champ car la violence est  inacceptable au FMIC. Les autres infirmiers tentent de le défendre et proposent qu'on applique la coutume afghane dans ce type de conflit : l'infirmier qui a attaqué doit aller voir les parents de celui qu'il a frappé et leur donner une somme d'argent; s'ils acceptent, l'honneur est sauf et ils peuvent de nouveau se parler et travailler ensemble. Mais le directeur, qui est pakistanais, se fout de la coutume afghane et maintient sa décision : viré. Les autres menacent alors de tous démissionner, mais le directeur reste inflexible : viré. Finalement personne ne démissionne parce qu'ils ont tous besoin de travailler. Et le blessé, au fait ? Scanner normal, il récupère doucement et on le garde, par sécurité, 24 h en surveillance. 

À la cantine avec M. Din vers 14h, tout le monde ne parle que de ça. Je ne comprends pas ce qu'ils disent, mais je les entends crier dans une agitation inhabituelle au moment de la pause repas. 
Fin du programme au bloc et nouvel appel en ICU, cette fois pour un bébé de 5 mois, en défaillance  polyviscérale, impiquable, pour lequel Amina veut une voie d'abord fémorale par dénudation au bloc. Le transfert au bloc est quelque peu sportif car la situation est très précaire mais nous le ramenons vivant 45 minutes plus tard. Je ne suis pas sûre qu'il passe la nuit.
Najib est arrivé, comme prévu, ce matin. Il consulte pour préparer son programme de la semaine et je passe lui dire bonjour. Nous sommes, autant l'un que l'autre, très contents de nous retrouver. Il travaille maintenant à mi-temps dans un hôpital de Prague pour garder un pied en Europe; il a réussi à faire sortir son père d'Afghanistan dans des conditions un peu louches et obscures, me dit Alexander, et je ne pose aucune question. Son père est maintenant en Allemagne avec l'une de ses sœurs, son autre sœur est aux USA et seule sa mère est encore à Kaboul, mais Alexander pense que s'il arrive, elle aussi, à l'extraire de Kaboul, il ne reviendra plus en Afghanistan. Tout est entouré de mystère, de non dits - "je t'expliquerai", me dit Najib... Il n'a en fait rien à m'expliquer, il me dira ce qu'il veut bien me dire.
On nous annonce une urgence: un petit garçon de 11 ans a une fracture déplacée du coude. Anesthésie générale et bloc axillaire sur lequel ils sont très mauvais, mais Rassoul m'explique qu'en bombardant le creux axillaire d'anesthésique local, ça marche et... effectivement... ça marche !!! Je tente d'expliquer les différentes réponses pour chaque nerf, mais ils font un blocage psychologico-intellectuel puisque si on inonde, ça marche, alors... Bon, ok pour ce soir, va pour l'inondation mais j'aimerais quand même bien leur expliquer que ça peut marcher sans tout inonder.

Retour à la guest house où j'allume le chauffage dans ma chambre avant de prendre une douche car les températures fraîchissent sérieusement le soir. Dîner au calme, soupe qui réchauffe, riz et poisson frit, vraiment très très frit - qui veut la recette ? - et très très gras et pas très très bon, mais il y a encore du fromage et du yaourt que l'on mélange avec des grenades fraîches qui font un excellent dessert. 

Je remonte en ICU avant de me coucher, le bébé de 5 mois vient de mourir. Son père et son oncle vont l'emmener, enveloppé dans une couverture. Les autres parents regardent ou ne regardent pas et certains se parlent en chuchotant, échangeant des secrets au creux de leurs murmures et se demandant s'ils sont, eux aussi, sur la liste funeste.

vendredi 9 novembre 2012

Impressions d'Afghanistan, quelques images

Photos prises par Anne-Marie depuis 2006.


Kaboul vendredi 9 novembre 2012



Et voilà, journée de vacances en ce vendredi de novembre où Kaboul brille toujours sous un soleil radieux. Réveil à 8h30, petite grasse mat, mais qui fait du bien. Je prends le temps de tout, de petit déjeuner sans courir, de lire un moment dehors, assise dans l'herbe avec une tasse de mauvais nescafé, de faire la visite en réa où les enfants sont stables, de lire mes mails et je veux vous dire un immense merci à vous tous qui prenez le temps de m'écrire et semblez intéressés par ce journal afghan.
Déjeuner dehors, il fait presque trop chaud au soleil et puis vient l'heure de se séparer. Agnès et Jean-Michel partent à l'aéroport et rentrent sur Paris, Alexander et moi allons visiter la maison de Kate, la maison des enfants. En traversant la ville , nous nous arrêtons dans un petit restaurant où nous buvons un délicieux jus de grenade fraîche. Comme d'hab je suis voilée, comme d'hab le chauffeur nous dépose devant la porte et nous attend au volant. La maison de Kate est une jolie bâtisse sur 2 niveaux, très gaie, avec un grand jardin et des jeux pour les petits. Elle accueille actuellement une dizaine d'enfants dont 2 que j'ai endormis en début de semaine et qui vont bien. Je fais quelques photos et nous rentrons, il commence à faire frais. 
Ce soir ce je suis seule avec Alexander. Demain arrive Najib, un chirurgien cardiaque afghan qui a été formé en France et qui vient régulièrement faire des missions au FMIC. 
Journée sans grand événement, journée calme qui fait du bien avant de reprendre le rythme soutenu de la semaine à venir.

Kaboul jeudi 8 novembre 2012



Bonne nuit, personne ne frappe à ma porte, je récupère et ce matin, contrairement aux prévisions du cuisinier, le soleil brille toujours. Au petit déje, j'apprends une nouvelle étonnante. Il y a six mois, une infirmière française venue en longue mission, s'est convertie à la religion musulmane pour épouser un chirurgien de l'hôpital Indira Gandhi, déjà marié et père de sept enfants. Elle vit aujourd'hui cloîtrée dans une maison de Kaboul, n'a pas le droit de sortir et ne peut voir personne. J'en ai des frissons en pensant à ses parents. Depuis cet... incident... La Chaîne de l'Espoir a décidé de faire passer un entretien psychologique aux expatriés qui partent en mission longue durée. 

Au bloc, lourd programme, 17 enfants. Arrivée d'Abdullah; y a comme un froid avec Rassoul qui ne lui dit rien. Abdullah me prend par le bras et m'emmène dans un bureau. Il s'excuse de ne pas être venu la nuit et me raconte une histoire embrouillée de sa sœur malade, de son père qui a exigé qu'il la soigne, de sa religion qui demande que l'on s'occupe d'abord de sa famille en délaissant son travail parce que inch Allah, patin couffin et moi j'y comprends rien... et qu'il veut rester mon ami et que je peux aller me reposer à la guest house. Je lui dis qu'il n'y a rien de grave et que l'incident est déjà clos. Je vous rassure, sa sœur est guérie, son père est calmé, la religion est respectée, je demande à Rassoul de ne plus en parler, la vie peut continuer.

Elle continue d'ailleurs à vive allure et les enfants défilent au bloc pour un programme quelque peu surchargé. Ce matin Rassoul ne me fait pas changer de salle et je reste avec Waheed, l'un des infirmiers anesth. C'est mieux. Le troisième enfant que nous endormons est un petit garçon de 8 ans porteur d'un kyste hydatique pulmonaire. Thoracotomie pour excision. Même pas peur à l'induction, mais ça devient chaud, même très chaud et même TRÈS TRÈS chaud à l'incision du kyste d'où gicle un pus épais dégueulasse et là oui, un peu peur. Ceinture et bretelles, parachute au cas où, on atterrit finalement en douceur et l'enfant est transféré en ICU. Au plus fort du stress, Waheed me fait remarquer que Rassoul n'a pas montré le bout de son nez. Alors, hasard ou acte manqué ? Allez, soyons sympa, bénéfice du doute. Il sort de son bureau et débarque quand tout est terminé. - "ok Mary ? no problem with the patient ?" Alors là je fais quoi ? J'éclate de rire ? Allez, je suis charitable, c'est bien connu. -"Everything’s ok, Rassoul, don’t worry." L'enfant est en réa, il est 14h30, je descends déjeuner avec M. Din. Bon, pour la soupe gluante où flottent ces yeux étranges qui me regardent, ce sera non, merci - quelqu'un veut la recette ? - mais ok pour le riz aux lentilles, le même qu'hier, oui je sais, y a plein d'fer et c'est bon pour moi. Nous parlons de Florence, cette infirmière française mariée à un Afghan; M. Din, qui a travaillé avec elle, confirme l'info et ses conditions de vie, enfermée 24h/24h dans une petite maison, portant le voile, bien sûr, dormant par terre sur un tapis, n'ayant le droit de communiquer avec personne, mariée à un Pachtoun, intégriste à la longue barbe et devant s'occuper de belle maman handicapée. Elle est pas belle, la vie ?  Il pense qu'elle était déprimée car célibataire à 36 ans, anorexique mentale grave qui plus est. Donc, avis aux célibataires déprimées, avec ou sans anorexie, y a ici des Pachtouns qu'ont un bon plan pour vous, on va créer un club de rencontres.

Retour au bloc pour la fin du programme d'orthopédie et c'est de nouveau un jeune barbu et moustachu qui nous dit qu'il a 14 ans. Tout le monde fait semblant de le croire et Rassoul me dit en riant : - " This is Afghan 14 years." Finalement ça tourne bien et, à 17h,
le programme est bouclé. Je vais en réa voir tous mes petits opérés qui vont bien et c'est aussi cela le bonheur.

Et ce soir, c'est encore la fête. Nouvelle invitation à dîner par le directeur administratif Pakistanais de l'hôpital. Il nous emmène au Jardin de Taimani, un restaurant français ouvert récemment à Kaboul et tenu par une  Franco Afghane, nièce d'un ministre d'Amin Karzai et mariée à un Afghan. Alexander connaît ce resto, très bon mais très cher. On s'en fout, c'est l'Pakistan qu'invite. 4x4 et chauffeur du directeur, voile sur la tête, on embarque pour une soirée vraiment très agréable, dans un cadre magnifique, avec un grand jardin de roses où l'on mange en été. Fouille à l'entrée. - " no gun ? - no gun". J'ai la tronche à avoir un pistolet planqué dans mon sous-tif ? Ok, on est à Kaboul, alors, fouille mon gars. Délicieux repas végétarien pour moi; les garçons boivent du vin servi dans une théière et versé dans des tasses à thé, histoire de tromper l'ennemi. Une idée pour vos prochains repas entre amis. - "Vous prendrez bien une tasse de thé ?" Détail de l'histoire, Alexander me fait remarquer que la rue de ce restaurant est l'une des rares goudronnées à Kaboul. Why ? Because Amin Karzai, of course ! Qui vient de dire qu'il y avait de la corruption à Kaboul ?

Demain c'est vendredi, on est en congé, youpi ! Au programme, grasse mat, enfin, essai de grasse mat, petit déje dehors sur la pelouse, film sur l'iPad et, dans l'après-midi, avec Alexander, visite de la maison de Kate et ce sera sans doute tout. Nous n'avons pas le droit de marcher dans les rues de Kaboul because security. Quand nous nous déplaçons, au restaurant par exemple, le chauffeur nous dépose devant la porte et nous récupère devant cette même porte. Acceptons-en les règles, nous sommes à Kaboul.

Agnès et Jean-Michel qui sont venus avec moi, repartent demain. Ils ont visité, rencontré, calculé, évalué, photographié, écrit, envoyé des statistiques, des rapports, des idées, des projets, que des trucs chiants, mais importants pour la mise en route du projet mère-enfant. Moi, vraiment, je préfère rester l'anesthésiste de base qui monte au charbon que de faire ce travail d'évaluation dont je suis, de toute façon, bien incapable. 

Retour du restaurant, je remonte en réa voir le dernier petit opéré du thorax; je veux être sûre qu'il n'a pas mal. Tableau habituel de cette grande salle bruyante étincelant de mille strass pour éclairer ces enfants comme autant d'étoiles qui brillent dans un firmament de misère. Quel décalage entre cette technologie de pointe et leur quotidien derrière les murs de l'hôpital, cortège inexorable de cauchemar et d'exil! Alors, dans la hiérarchie du pire, tentons juste de leur offrir ponctuellement le meilleur.

jeudi 8 novembre 2012

Kaboul mercredi 7 novembre 2012




Courte nuit: je suis appelée à 1h, alors que je dors depuis peu. Le garde tambourine à ma porte. - "Dr Mary ! come, Dr Amina needs you". OK, I am coming, mais il va falloir mettre les choses au point dès demain. Passer toute la journée au bloc, bien sûr, je suis venue pour ça; les aider quand ils en ont besoin, of course, mais bosser toutes les nuits pendant 15 jours, c'est non. Amina, désolée, m'explique qu'elle a appelé Abdullah, l'anesthésiste de garde mais qu'il n'a pas voulu se lever et lui a dit de m'appeler. Je ne discute pas, ça n'est ni le moment ni l'endroit. Je réveille Salim, l'infirmier anesth de garde sur place, et Massoud, l'OT nurse, et nous partons au bloc. Il est 3 heures quand je ramène le petit intubé en ICU, 3h30 quand je regagne ma chambre, à 4h, je n'ai toujours pas réussi à me rendormir.

À 7h30 au petit déje, Alexander qui a entendu le garde, me demande ce que j'ai fait. Il me dit que l'anesthésiste d'astreinte doit venir car il touche une rémunération pour cela et qu'il est hors de question que je bosse toutes les nuits. Même son de cloche au bloc où j'arrive à 8h et où Rassoul, déjà au courant, est furax. Il appelle Abdullah pour lui passer un saxo et celui-ci répond que sa sœur étant malade, il ne bosse pas aujourd'hui. Rassoul va exploser, il devient rouge, arrête de respirer puis reprend une inspiration bruyante et hurle au téléphone. Colère sans effet, nous n'avons pas vu Abdullah de la journée. Bon alors, on se calme et on se répartit le travail car il y a plus de 15 enfants à endormir et, même si certains gestes sont courts, la journée va être longue. Je pars au bloc 1 avec Salim et M. Din faire les fentes palatines chez les petits. Nous y passons la matinée, au rythme de la musique afghane que diffuse la radio.

Déjeuner à la cantine avec M. Din. Le temps change, le ciel est moins bleu, moins pur, le soleil moins lumineux et quelques traînées blanches zèbrent la montagne. Pleuvra-t-il ce soir ? En partageant notre assiette de riz aux lentilles - j'en mange, j'en mange, ah miam miam pour le fer - M. Din me raconte qu'au début de l'hiver dernier sa maison s'est tout simplement... effondrée, à cause des pluies incessantes. Voilà, un soir, comme ça, à la maison, un grand bruit et les murs en torchis qui bougent et s'affaissent comme un vulgaire château de cartes. Il est sorti avec sa femme et ses enfants et ils se sont réfugiés plus loin dans une maison amie. Le lendemain, il ne restait qu'un tas de boue et leurs affaires imbriquées. Il a sauvé ce qu'il a pu et a reconstruit sa maison, plus loin. Aujourd'hui, comme avant, l'eau ne coule au robinet qu'une heure par jour, les bons jours. Certains jours elle ne coule pas, elle coulera demain... peut-être... inch Allah !!! Et qui vient de dire qu'il n'avait pas assez de pression pour sa douche ? 

Retour au bloc, café dans le bureau de Rassoul, nous fêtons la réélection d'Obama, une grande nouvelle pour le monde, une bonne nouvelle pour l'Afghanistan. Ça n'est pas l'avis de Djalil et ça m'étonne beaucoup, mais on est là sur un terrain glissant où il est dangereux de s'aventurer.
Reprise du programme, nous tournons sur 2 salles; près de 5 heures d'intervention en chirurgie digestive pour ce petit garçon qui n'a pas encore 2 ans et que sa maman décomposée me confie. Elle est assise par terre, voilée, devant la porte du bloc et attend que nous terminions. Rassoul "m'abandonne" à 17h, je reste avec Waheed, l'infirmier de garde; il est 20 h quand nous terminons. Transfert en réa où nous avons fait libérer un lit.
Je viens de faire 12 h de bloc et c'est bon, je rentre et je repasserai dans la soirée voir si tout est ok.

Ce soir, en ICU, un autre enfant va mourir et je me demande si cet homme au turban beige flétri, accroché aux barreaux du lit, est son père ou son grand-père. Vieilli par le temps, usé par le vent, les mains nouées, on dirait qu'il s'effrite. Il murmure je ne sais quoi et sa voix se perd dans l'espace dans une litanie de tombes grises que l'on imagine aisément. Et je voudrais que la vie se mette en veilleuse pour respecter cette mort imminente. Dehors, dans la nuit afghane, tout reste trouble et désarticulé et mon sommeil se peuple de rêves incertains.