jeudi 15 novembre 2012

Kaboul mercredi 14 novembre 2012



Petit matin frisquet où il ferait bon rester sous la couette, soleil toujours radieux qui réchauffe le cœur et insuffle l'énergie pour partir travailler. Je déjeune au calme... et au frais... Malgré les demandes réitérées d'Alexander, le chauffage n'est toujours pas réparé. Le thé chaud fait du bien, le pain afghan grillé est un régal, malgré un arrière-goût de fin de mission. Juste ne pas y penser, profiter à fond de chacun, de chaque enfant, de chaque instant, de chaque regard, de chaque sourire.

En arrivant au bloc, je demande à Rassoul l'autorisation de passer la matinée avec Najib en chirurgie cardiaque. Il y a une seule intervention à coeur ouvert, fermeture de communication interauriculaire; M. Din gère la C.E.C. (circulation extra corporelle) et semble très fier de me montrer ce qu'il sait faire. La réponse de Rassoul ne se fait pas attendre : -" why not "? Je file avant qu'il ne change d'avis. Nasim, l'anesthésiste, me laisse gentiment poser la voie veineuse centrale, M.Din prépare sa machine et il faut une bonne heure de préparation de l'enfant avant le début de l'intervention. Je n'ai jamais vu de chirurgie à cœur ouvert et Najib m'explique tout ce qu'il fait, c'est passionnant et impressionnant. Démarrage de la C.E.C. qui va suppléer à la fonction cardiaque le temps de l'intervention. Le cœur s'arrête et Najib met une rustine avec un morceau de péricarde sur le trou qui fait communiquer les 2 oreillettes. La reprise de l'activité cardiaque laisse le temps en suspens au fil des minutes qui défilent sur l'horloge et du scope qui affiche le rythme... 45... 60... 50... Najib masse le cœur... 60... 50... et puis lentement le muscle se remet à battre régulièrement 70... 80... 90... Arrêt de la C.E.C., rideau, applaudissements. M. Din gère ses tuyaux tel un organiste, tournant ses manettes, déplaçant ses pinces, heureux et fier de sa prestation. Nous transférons l'enfant en ICU.

Au bloc, il ne reste que 2 interventions; pause déjeuner avec M. Din qui est de repos demain et que je ne reverrai pas. Adieux un peu tristes en forme d'au revoir; nous nous embrassons, nous nous serrons dans les bras l'un de l'autre et nous repartons chacun vers un destin aux couleurs bien distinctes. Johana repart au bloc, je vais au meeting pour l'accréditation américaine avec Alexander et quand je reviens, je retrouve Johana de très mauvaise humeur. Il y a 2 infirmiers et un médecin anesthésiste en salle en plus d'elle, elle trouve qu'elle ne sert à rien, je n'sais pas. À la différence de moi qui suis la reine des bonnes poires et qui dit oui à tout, elle semble ne pas vouloir se laisser faire; aussi à la différence de moi qui suis là pour 15 jours, elle va rester 6 mois, alors... Elle veut parler à Rassoul demain, je la laisse gérer.

Dernier soir à Kaboul, nous avons parlé longtemps avec Najib. Il est tard et nous montons en réa voir la fillette qu'il a opérée. Elle est calme dans son lit, peu douloureuse, souriante, un peu perdue dans cette grande salle où, comme chaque nuit, le bruit agresse et la lumière aveugle. A-t-elle compris que son coeur est réparé, qu'elle va désormais revivre, jouer, courir sans être perpétuellement fatiguée et dangereusement essoufflée ? Najib la regarde avec tendresse : -" Tu vois, bientôt elle pourra se marier et avoir des enfants." Bientôt ? Mais, Najib, elle n'est encore qu'une enfant de 12 ans...

Dernière nuit à Kaboul, je vais rêver peut-être de cette petite fille au cœur tout neuf et de tous ces autres cœurs que Najib est revenu faire battre.

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