mardi 6 novembre 2012

Kaboul lundi 5 novembre 2012



Nuit correcte, mais le jour me réveille à 5h; je me rendors un peu sur ce matelas à ressorts moyen qui me défonce le dos. Temps splendide. Après le petit déje, je passe voir l'informaticien du FMIC pour qu'il paramètre mon iPhone et mon iPad en wifi, ça a l'air ok après quelques essais, good !  Je retrouve Mohammed Din, son sourire fait du bien. Il a donné les médicaments à sa maman pour traiter son diabète. -"She says hello and thank you to you and all your family". Je transmets to all my family. Il semble heureux; il a donné les cadeaux à sa femme et ses enfants, il a essayé les tenues de sport et il sent bon Hermès, l'un des parfums que je lui ai donnés. Au bloc, Rassoul, en forme et disponible après sa journée de break hier, organise les salles et donne le tempo. Tout le monde suit dans une organisation un peu étrange, mais qui fonctionne finalement bien. Il y a celui qui appelle les patients alors que l'infirmier anesthésiste l'a déjà fait, celui qui accueille l'enfant avec ses parents dans le sas du bloc et vérifie l'identité sur le bracelet et le dossier, vérifie aussi que l'enfant est bien à jeun - NPO: nothing per oral - et la réponse des parents est toujours oui, s'assure enfin que la prémédication est bien donnée et la réponse est très souvent non. Ce matin je valse, suivant les consignes de Rassoul, du bloc 2 au bloc 4 et retour au bloc 2 après une courte escale au bloc 1, qu'importe. Il y a encore trois fentes palatines chez des enfants de quelques mois et les chirurgiens les gèrent très bien maintenant. Les infirmiers anesth sont aussi très performants et la sécurité anesthésique est excellente malgré le très jeune âge des enfants. Circoncision chez un petit de un an, anesthésie au masque et pineal block, pas de souci sauf qu'il vomit du lait quand je le réveille et qu'il n'était donc pas à jeun malgré la réponse affirmative de la maman. Les infirmiers me disent que l'éducation des familles est difficile et que souvent ils ne comprennent pas. Ils sont en train de préparer, à l'attention des parents, un manuel traduit en Dari et en Pachtoun pour leur expliquer ce qu'est l'anesthésie, quels en sont les risques et l'importance du jeûne. J'ai lu la version en Anglais et c'est très bien.

Distribution de cadeaux au bloc, c'est la curée sur mon sac à dos et les savons, gels douche et parfums s'arrachent en quelques minutes. Ceux qui ont des enfants petits se partagent les peluches et les petites voitures. Je vais chercher le cleaner, sans âge, qui pousse toute la journée le balai, que j'adore, que j'ai toujours appelé Babou et qui, timide, n'ose pas s'approcher. Lui veut des shampoings, j'ai et je lui remplis les poches. Son bonheur est, à l'inverse de la valeur des cadeaux reçus, gigantesque because we are in Afghanistan et, vu de France, c'est sûrement difficile à comprendre. M. Din, lui, fait le tour des salles et distribue les bonbons que j'ai apportés. Les gâteaux ont été rapidement engloutis et ils en réclament encore et aussi d'autres parfums et d'autres jouets, d'autres peluches mais... Comment vous expliquer encore que je n'ai plus rien ?

13h30 : fin du programme du matin, M. Din vient me chercher, nous partons à la cantine. Il me dit que pour les repas, les employés de l'hôpital payent 1000 afghanis par mois et que, depuis qu'il est perfusionniste, son salaire a été augmenté de 100 dollars et atteint maintenant 500 dollars par mois. Pour info, 1 euro = 70 afghanis. Il arrive à vivre, mais sans plus car il s'occupe aussi de ses parents, il aide sa sœur, et sa femme, institutrice, ne travaille plus depuis la naissance des enfants. De plus, les hivers sont rigoureux, les maisons très mal isolées et le charbon coûte cher. Nous déjeunons dehors, assis sur des bancs au soleil, avec un ingénieur afghan qui travaille depuis 6 ans pour La Chaîne de l'Espoir et a participé à la construction du FMIC. C'est un monsieur cultivé de 56 ans qui parle Français et Anglais, qui a aussi étudié à Moscou et c'est un régal de l'entendre parler de ses 5 enfants dont 2 font des études en Inde, de sa femme qui enseigne aux petites filles afghanes, de l'importance de l'éducation et de la place des femmes et des enfants qui sont l'avenir de l'Afghanistan. C'est Rassoul qui rompt le charme, on ne rigole plus, on remonte au bloc. Dommage, on est bien là au soleil, non?  Le petit garçon de 7 ans que nous accueillons et que nous n'arrivons pas à calmer, a eu une thoracotomie pour une médiastinite après avoir ingéré un produit caustique. Il a maintenant une sténose de l'œsophage et nous l'endormons pour des dilatations. Ce bébé de 4 jours a eu, en intra utérin, une bride amniotique autour de la cheville. Le pied est totalement nécrosé et il n'y a pas d'autre solution que de l'amputer; à 4 jours, c'est sévère. Rassoul sort demander l'autorisation du papa qui ne sait pas écrire, mais donne son accord en apposant son empreinte digitale en bas de la feuille écrite en Dari. Le pied amputé sera donné aux parents au retour du bloc. L'après-midi se déroule dans un calme relatif car les Afghans parlent toujours très fort et je ne sais jamais si le chirurgien engueule l'infirmier de bloc ou s'ils se racontent des conneries, ce qui est très souvent le cas car ils éclatent ensuite tous de rire. Quelquefois quand même ils ne rient pas, mais ils se réconcilient très vite. Quand je suis vraiment perdue dans le bordel ambiant, je tente un -"Can you speak English for me ?" et ça les fait marrer parce qu'ils n'arrivent pas à traduire en Anglais les vannes qu'ils se racontent en Dari.

Le confort de cette mission est la salle de réveil - recovery - qui comporte 3 postes et permet de sortir les enfants intubés, ce qui donne une sécurité absolue. Petit bémol, les infirmiers du recovery sont d'une nonchalance qui fait peur et on a vraiment envie de leur botter les fesses. Y en a un particulièrement obèse qui est tout le temps assis et joue avec son téléphone. Et il me gonfle, car il ne bouge pas quand nous amenons les enfants, mais me montre toujours la ligne que je n'ai pas signée ou la case que je n'ai pas cochée. D'ailleurs je vois régulièrement les infirmiers anesthésistes les engueuler et leur donner des ordres pour bien marquer leurs différences.


La salle de réa.


Fin du bloc, il est presque 18h, je reste en recovery surveiller le bébé amputé avant de le renvoyer dans le service. Il n'a que 4 jours, il n'y a pas de place en ICU, je ne veux pas avoir d'accident de réveil. Rassoul passe me dire au revoir en rentrant d'un meeting avec Alexander; je reste avec l'équipe de garde, OT nurse, anesthesia nurse et Babou qui termine son ménage.

19h : retour à la maison; j'ai la bonne idée de prendre rapidement ma douche. 19h30: on vient me chercher pour 2 urgences au bloc. Un jeune de 14 ans a un gros calcul rénal qu'il faut évacuer. Sauf qu’il a 14 ans comme moi j'en ai 12. C'est classique ici, pour se faire opérer à l'hôpital français, les jeunes adultes font croire qu'ils ont moins de 15 ans car c'est un hôpital réservé aux enfants. Cet adolescent de 14 ans donc a de la barbe et de la moustache et au moins 25 ans. Et sauf qu’il a un rein unique et une insuffisance rénale qui nécessite une dialyse et que donc on ne l'opère pas et il part vers un hôpital d'adultes approprié. Vient d'arriver aussi une petite fille de 1 an pour une invagination intestinale aigüe et pendant que le chirurgien explique au papa que nous allons l'endormir pour réduire l'invagination, la maman lui donne un biberon de lait. Bilan des courses, elle n'est plus à jeun, le chirurgien hurle, l'anesthésiste afghan hurle, le père engueule sa femme et je tente, moi, de comprendre ce que l'on décide finalement. En fait, on n'a pas trop le choix des décisions et nous partons au bloc. C'est une adorable petite fille que je serre dans mes bras, elle ne dit rien, agite la main en direction de son frère et de sa sœur qui jouent par terre plus loin et se laisse emmener en confiance tandis que la maman et la grand-mère fondent en larmes. Bon, je fais quoi ? Je m'occupe de qui ? Allez, je laisse les adultes à leurs larmes et je m'occupe de l'enfant. Avant de l'endormir, nous lui posons une sonde gastrique pour vider le lait qu'elle vient de boire et l'anesthésie se passe sans incident. L'invagination est levée, la fillette se réveille, dans le couloir, la mère et la grand-mère ont fini de pleurer, je rentre dîner. Il est bientôt minuit, rude journée, il est temps de dormir. Demain le soleil se lèvera de nouveau sur Kaboul. 

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