Kurdistan 1981, début de l'aventure humanitaire

(Notes du "webmaster", Philippe, et extraits du journal de bord d'Anne-Marie, publié en 2004.)

En 1981, Anne-Marie, alors  jeune médecin réanimateur, partait clandestinement pour sa première mission humanitaire, au Kurdistan iranien. Les Kurdes et les "peshmerguas" du PDKI étaient alors en révolte contre le pouvoir de Téhéran, et le Kurdistan était considéré "off-limits", autant par l'Iran que par la Turquie. 
Anne-Marie y passera trois mois dans des conditions très difficiles, puis échappera à une tentative d'assassinat en tentant de repasser la frontière turque, sera vendue par ses passeurs à la police, et finira dans une prison turque. Elle pesait 38 kg à son retour en France.

"Gérard, le frère de l’une de mes amies, photographe free-lance, part dans quelques semaines faire un reportage au Kurdistan iranien. Je décide de partir avec lui après avoir obtenu rapidement à l’hôpital, non sans quelques difficultés et reproches, une mise en disponibilité non rémunérée pour trois mois. À Paris, Gérard et moi rencontrons Ghassemlou, chef du PDKI (Parti Démocrate Kurde Iranien), venu clandestinement en France chercher de l’aide pour son pays. Notre rendez-vous secret, dans l’arrière-boutique d’un café tenu par des Kurdes, a déjà un petit air de mystère. Ghassemlou m’impressionne et inspire le respect par sa sérénité et ses propos. Il me remercie de venir aider son peuple, m’explique que la mission sera clandestine, très difficile et fatigante mais que la cause est juste et qu’il y a un manque crucial de médecins au Kurdistan. Je dis oui à tout, ma tête est déjà là-bas. Ma décision est prise, nous partons dans dix jours."



Les images de la vidéo ci-dessous sont des impressions fugaces, mais précieuses, filmées par Anne-Marie en Super-8, de la vie dans un  Kurdistan quasi-médiéval, il y a 35 ans, et du long périple pour l'atteindre. Une autre époque, un autre monde. Si proche et si lointain.

Les premières 20 secondes se passent à Van, dans l’Est de la Turquie, alors qu’Anne-Marie et ses deux compagnons temporaires de voyage organisaient leur passage clandestin de la frontière avec l’Iran par la montagne. Elle sera ensuite seule pendant trois mois.

On n'aperçoit Anne-Marie dans ce petit film que de manière très fugace, à 3': elle porte un pull violet. 

Enfin, le dernier personnage que l'on voit, à partir de 10' 33", est A. R. Ghassemlou, le leader du mouvement indépendantiste kurde du PDKI. C'est lui qui avait proposé à Anne-Marie de venir les aider, lors d'une rencontre secrète à Paris. Il sera par la suite assassiné en 1989 à Vienne, lors d'une conférence sur l'autonomie du Kurdistan avec des émissaires de Téhéran... Je vois quelques parallèles troublants, pour ma part, entre la stature et le destin de Ghassemlou et ceux du Commandant Massoud, en Afghanistan, assassiné deux jours avant les attentats du 11 septembre, et je comprends l'admiration qu'Anne-Marie porte à ces deux hommes hors du commun.


Vous pouvez regarder, ou télécharger, cette émouvante vidéo de 10 minutes en cliquant sur ce lien:
https://www.dropbox.com/s/dsp81kfyn8gh384/Kurdistan%201981.mp4?dl=0
N.B.: La qualité de la vidéo sera, du fait de sa longueur, meilleure en téléchargement qu'en la regardant directement sur le site de Dropbox.

Cette mission — ainsi que de nombreuses autres — est racontée dans le livre d'Anne-Marie qui porte le titre de ce blog. En voici un autre extrait qui concerne Ghassemlou:

   "Nous laissons les véhicules en bas du camp et un peshmergua nous emmène dans une maison creusée dans la montagne et dont l’entrée est soigneusement camouflée par des branches d’arbre. Là, chacun doit décliner son identité et déposer ses armes, opération qui prend un certain temps car ils s’appellent tous Mohammed machin truc ou Abdoullah machin chose et doivent déclarer une kalachnikov, deux pistolets, quarante cartouches et cinq grenades. Tout est noté sur un grand registre et ça ne rigole pas du tout. Pour moi ça va vite, je suis Mary et je n’ai ni armes ni munitions. Nous quittons cette baraque et gagnons celle qui sert de réfectoire où nous dînons d’un petit morceau de fromage. Le réfectoire sert aussi de dortoir et nous réveillons les peshmerguas, alignés par terre ; je retrouve là ceux qui ont quitté l’hôpital ce matin.

            0 heure 30 : un peshmergua vient me chercher pour me conduire dans la maison du Docteur Ghassemlou  (docteur en économie politique),  où je dois dormir. Je suis contente, mais aussi un peu impressionnée, de retrouver le grand chef de la révolution kurde, chef suprême du PDKI. Sa maison, tout en haut du camp, est gardée par deux peshmerguas; lorsque j’entre, Ghassemlou écrit, à la lumière d’une lampe de chevet, assis par terre sur un matelas, entouré de piles de bouquins. Il m’accueille avec une grande courtoisie, dans un français parfait et me rappelle notre rencontre à Paris avec Gérard; puis il demande à un peshmergua d’installer un matelas à côté du sien. Je suis très fatiguée par le voyage et je m’endors rapidement, tandis que mon compagnon écoute la radio, tout doucement, lumière éteinte. Après Bayram, c’est le grand luxe."



Quant à la fin de la mission, elle sera chaotique, c'est le moins que l'on puisse dire. Lors du passage de la frontière avec la Turquie par la montagne, ses passeurs kurdes essaieront de lui extorquer de l'argent, puis de l'égorger. Après être repassée en Iran, elle fera une deuxième tentative, pour finir entre les mains de la police turque et en prison.

Lors d'une conférence / présentation du livre d'Anne-Marie, un extrait saisissant en a été lu par Christian Brindel, acteur TV. Il s'agit du passage où elle est aux prises avec ses passeurs kurdes:








"Cramponnée à la taille de l’homme qui est devant moi, je repars vers l’Iran, les larmes aux yeux. Malgré les coups incessants qu’il reçoit, le cheval progresse très lentement jusqu’au sommet. Nous avons quitté le chemin, l’homme me pousse par terre et nous entamons une descente abrupte. D’une main, il tire le cheval par la bride, de l’autre il me tire par le bras. Nous glissons dans la boue, mais il court toujours et sa main serrée en étau sur mon bras me fait mal. Cet homme est fou, nous allons nous briser les os. Le cheval vient de tomber, moi aussi, je regarde l’homme d’un air suppliant pour implorer un break, un tout petit break, j’ai besoin de reprendre mon souffle. Dans ses yeux, je ne rencontre que de la méchanceté; sa main serre de nouveau si fort mon bras que je suis bien obligée de reprendre la course. Nous arrivons enfin en bas et je m’étale dans la boue sur le sentier que nous avons rejoint ; nous remontons sur le cheval. Je reconnais cet endroit où nous sommes passés ce matin; nous ne sommes plus très loin de Khanik, je suis vivante et entière, c’est l’essentiel. Dans un épais brouillard et sous une pluie battante, nous nous arrêtons devant la maison que j’ai quittée ce matin. Je suis trempée, imbibée de boue et épuisée."


Après ces péripéties, et après avoir finalement réussi à rentrer en Turquie, les ennuis n'étaient malheureusement pas terminés:


"Sur le chemin qui monte de nouveau vers le sommet, mes trois accompagnateurs se séparent à tour de rôle pour essayer de localiser les policiers turcs. Beaucoup de cinéma pour pas grand-chose, j’apprendrai un peu plus tard que nous avons été repérés à la jumelle dès notre passage au sommet. Frontière franchie à 15 heures 30, il reste un peu plus d’une heure de marche pour arriver à Shahi.
            Devant la maison où mon cheval s’arrête, je suis reçue par un turc aux yeux bridés, en uniforme militaire, qui a plutôt l’air d’un Chinois et que je trouve d’emblée très antipathique. Il a dans la main un dictionnaire anglais et j’ai droit à « Zank you vely muche » comme phrase d’accueil. Avant de descendre de cheval, je me retourne, mes trois anges gardiens se sont volatilisés après m’avoir tout simplement livrée à la police turque. Effectivement, un policier turc armé est déjà à côté de moi, le fusil en bandoulière. Comment arriver à lui faire croire que, gentille touriste française, je reviens d’une promenade équestre dans la montagne environnante ? De nouveau j’ai peur; cette fois je suis toute seule, toute seule, et je dis tout bas « mon Dieu, aidez-moi ».



Oui, c'était la première mission d'Anne-Marie. On aurait pu imaginer plus simple. Mais cela ne l'a pas dissuadée de continuer, ce qu'elle fait depuis plus de 30 ans...


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