mardi 2 décembre 2014

Mongolie novembre 2014

Samedi 22 novembre 2014 
Nous voici repartis pour une mission en Mongolie avec MDM Opération Sourire.
Deuxième mission à Khovd, petite ville au nord ouest de ce pays lointain, posée au milieu de nulle part et survolée par les aigles. Toujours une mission de chirurgie réparatrice des séquelles de brûlures chez l'enfant.
Nous sommes 6 dans l'équipe, Didier chirurgien et chef de mission, avec qui je ne compte plus les départs, Cécile, chirurgien, Florence, interne en chirurgie, Julie, infirmière et Antoine, notre kiné. Je suis, comme toujours, seule anesthésiste face à 3 chirurgiens, ce qui m'oblige souvent à jouer serré mais c'est un jeu que je connais bien et que je maîtrise bien. Lever 5 heures pour le 1er vol vers Paris Ch. de Gaulle et Air France qui n'est pas en grève, on dit quoi ? Alléluia!!!
Regroupement des troupes à Paris, les autres arrivent tous de Marseille. Vol Paris - Séoul de 11 heures où j'enchaîne les films car impossible de dormir. Atterrissage à Séoul sous la pluie, il fait 11 degrés et on se prend + 8 heures de jet lag dans la figure, toujours un peu rude avec la fatigue. Et à la sortie de l'avion, y en a un ka pas d' bol et ka tiré la mauvaise couleur. Il est noir et donc il débarque, bien sûr, avec Ebola. De ses petites mains gantées de bleu, une hôtesse au sol prend sa température et l'emmène lui, le noir, son sac et son passeport pour une destination inconnue qui, je l'espère pour lui, ne s'appelle pas quarantaine. Dans la rubrique quarantaine, ya aussi tous ceux, nous dit-on, qui ont été en contact avec des animaux qui risquent de transmettre d'autres maladies. Ne dites à personne que j'ai caressé ce matin Atchoum, mon gentil chat blanc, ni que le hamster de la fille de Didier est gravement malade, sinon la mission est déjà pliée! 
Escale à Séoul de 5 heures, on s'installe en ordre dispersé sur des fauteuils pour tenter de dormir. Je suis un peu isolée des autres, mais je repère Didier, déjà endormi, avachi dans un fauteuil, avant de m'allonger, de somnoler et finalement de dormir un peu. Je me réveille en sursaut à 12h30, c'est l'heure de l'embarquement pour le décollage à 13h. Je saute dans mes grosses chaussures bien chaudes et me précipite vers le fauteuil de Didier, mais le chef n'est plus là. Vite le panneau des vols de départ, juste le temps de repérer le vol d'Ulaan Baatar et la porte d'embarquement 27, à 50 mètres du panneau. L'embarquement vient de commencer, je ne vois pas les autres, mais il y a un peu de monde et je monte sereinement à bord. 
13h : On n'a pas décollé et un employé de l'aéroport vient me demander combien nous sommes de Français en provenance de Paris. Je réponds 6 et il m'annonce que je suis seule dans l'avion. Juste j'y crois pas ! J'appelle Didier avec mon iPhone que je m'étais jurée de ne pas connecter pour ne pas exploser mon forfait depuis Séoul ou la Mongolie, messagerie, texto, pas de réponse, nouvel appel et toujours messagerie. Retour de l'employé de Korean Airlines qui m'annonce qu'on les a "localisés", mais qu'ils sont partis à l'embarquement d'un autre vol, sur un autre terminal et donc que l'avion va décoller sans eux. Didier et son équipe de Pieds Nickelés ont donc réussi l'exploit irréalisable de rater une correspondance après... 5 h d'escale!!! Annonce aux passagers pour les remercier de leur patience, retard dû à l'attente de passagers retardataires... euh ... il est déjà 13h35, et ça n'est qu'à 14h20 que les aiguilleurs du ciel donnent l'autorisation de décollage, nouvel annonce aux passagers pour les remercier de leur patience... Euh... 
Dès que les panneaux des ceintures de sécurité s'éteignent, je fais un tour de l'avion à moitié plein - à moitié vide? - pour confirmer que je suis la seule Européenne sur ce vol et là, grand moment de solitude, petit passage à vide lié à un coup de blues. Delphine, tu me manques plus que jamais!!! Je commence à dérouler le film de l'arrivée à UB où Saran n'est pas à l'aéroport et je n'ai pas son numéro de portable, où mon sac n'arrive pas ou, scénario catastrophe, mon sac arrive, mais il est piqué par les douaniers qui me taxent les médicaments qu'il contient, c'est arrivé tellement souvent... Plongée dans un super policier, je ne vois finalement pas passer ces 4 heures de vol, descente sur UB, temps très clair, 1ères yourtes éparses, 1ères neiges sur les montagnes, atterrissage avec 1h20 de retard, merci les Pieds Nickelés. En attendant les bagages, j'ai une drôle de boule dans la gorge, tandis que les sacs et valises défilent en ordre anarchique et dispersé sur un tapis roulant un peu bringuebalant et qu'aucun bagage aux couleurs de MDM n'est sorti. De toute façon, je ne connais pas les bagages des autres, mais je guette mon sac qui finalement sort, le dernier. Reste l'épreuve du scanner de mon énorme sac où j'arrive avec mon plus beau sourire, mais les grosses Mongoles de service ne sont pas trop motivées pour bosser et ne font passer que mon sac à dos où il n'y a rien de compromettant. Je souris toujours, Bayerstai Bayershla, au revoir et merci et tchao pantin. Les chauffeurs de taxi se précipitent sur moi tels une volée de moineaux, je les remercie et c'est avec soulagement que j'aperçois Saran, notre interprète et Khishgee, notre amie chirurgien des brûlés qui poireautent depuis... un certain temps... merci les Pieds Nickelés. Didier a appelé Saran pour lui dire qu'ils avaient raté l'avion et ... qu'on annulait la mission à Khovd! Ben voyons, il en a de bonnes idées, notre chef! 
Saran a commencé par annuler tous les billets - non remboursables, merci les Pieds Nickelés - pour Khovd et a dit qu'elle venait me chercher à l'avion et qu'elle organisait la suite avec moi. La suite est vite organisée, je pars demain matin avec Khishgee, Sara, notre 2ème interprète et un Professeur de chirurgie de la faculté d'UB pour un congrès de chirurgie des brûlés, organisé par Khishgee lundi et où sont inscrits 100 médecins du nord de la Mongolie. Par ailleurs la consultation est blindée, tout le monde nous attend et, avec Khishgee comme chirurgien et l'auteur de ce débinage comme anesthésiste, la fête peut commencer. J'appelle Didier pour le prévenir de notre départ demain; il se prend les pieds dans des explications fumeuses de 2 vols à la même heure dans 2 terminaux différents, je n'insiste pas pour ne pas aggraver son désarroi, d'autant qu'il n'y a pas de place sur les vols de demain, qu'ils n'arriveront donc que lundi soir à UB et mardi après-midi à Khovd si Saran arrive à booker le vol intérieur pour 6! 
Nous allons à l'hôtel où Saran annule toutes les chambres réservées pour ce soir puisque je suis seule. C'est encore un nouvel hôtel. Ici, les hôtels poussent comme les champignons dans les sous-bois en automne. C'est un hôtel mongol, donc à la décoration sur mesure et à la plomberie qui va bien, c'est à dire en fait qui ne va pas du tout, mais on a bien l'habitude. La douche, même si elle est complexe, reste la bienvenue et nous partons au resto Saran, Khisghee, son fils et moi.
Journée bien remplie, un peu stressante et très fatigante et début de mission complètement foiré, on va faire avec, mais finalement je préfère être seule à l'hôtel ce soir, même si c'est un peu triste, plutôt qu'avec les autres à visiter Séoul pendant 2 jours, aux dernières news, on n'est pas venu pour ça!!!



Dimanche 23 novembre
Beaucoup de mal à m'endormir hier soir because trop de fatigue peut-être et le stress de cette mission qu'il faut totalement réorganiser. Par ailleurs, selon le transitaire, le fret n'est arrivé en Mongolie que vendredi avant-hier et n'a pas pu être dédouané pour cause de week-end.
Dédouanement lundi, mis à l'avion de mardi et on fait comment pour bosser? Heureusement que j'ai des médicaments dans mon sac pour commencer car je suis toujours méfiante. J'ai envoyé hier soir un mail à MDM pour confirmer cette histoire de date et recaler l'organisation avec la logistique. Pour des raisons administratives qui compliquent le dédouanement, le fret doit arriver au minimum une semaine avant l'équipe médicale, mais ça n'est qu'un foirage supplémentaire sur une mission plutôt mal engagée. Gardons le moral et les motivations intactes, les petits brûlés nous attendent, on est venu pour eux. 
À 9h, dans le hall de l'hôtel, je retrouve Sara, notre 2ème interprète qui parle très bien Français, pratiquement sans accent. Bonheur des retrouvailles, nous avons plein de choses à nous raconter. Nous nous connaissons depuis longtemps et nous nous aimons bien; elle m'annonce que son mari s'est barré il y a 1 an maintenant avec une femme plus âgée, mais plus riche. 18 ans de mariage, 3 enfants de 20, 16 et 5 ans, bienv'nue au club! Sa fille est en Chine depuis 2 ans pour apprendre la médecine traditionnelle chinoise et elle a obtenu une bourse locale, ce qui lui permet d'être autonome.

Arrivée de Khishgee et de son mari - 25 ans de plus qu'elle - départ pour l'aéroport. Il fait beau, froid, sec, - 15 degrés; je suis bien équipée, je n'ai pas froid. La pollution augmente à UB; les grosses cheminées de charbon crachent une fumée de plus en plus noire et un voile opaque nimbe le paysage. Sara me dit que c'est aussi la crise en Mongolie et que les gens limitent de plus en plus leurs achats de vêtements et d'alimentation. L'euro qui était à 1200 tougriks il y a quelques années, à 1500 il y a 2 ans, est actuellement à 2500 tougriks et c'est une catastrophe pour les Mongols! Oserais-je ajouter que c'est une chance pour les touristes français?
Peu de monde à l'aéroport en ce dimanche de novembre. Nous retrouvons un professeur de chirurgie de la faculté d'UB qui doit faire une communication au congrès ce chirurgie organisé demain à Khovd. C'est un jeune de 30 ans, grand, mince, souriant, beau garçon, très sympathique. Les formalités d'enregistrement sont vites faites, mais le poids des bagages soute + cabine est limité à 13 kg par passager; je dépasse, of course. Mais on peut regrouper nos 4 bagages et ça passe sans problème. Petit bémol, le Professeur a oublié son passeport et donne son permis de conduire... Un Pied Nickelé local, ce beau garçon si sympathique ? ... Comme on lui refuse l'enregistrement, il se dirige vers une machine où, moyennant 1000 tougriks, je vous laisse faire la conversion en euros, ça y est? tout le monde a calculé de tête? On lui délivre une copie de son passeport et le tour est joué. Ouf! il part avec nous! Et c'est quoi le prochain gag?



Le petit avion où nous embarquons et qui décolle pile à l'heure, peut contenir 45 passagers. Aujourd'hui il y a 6 sièges vides, ceux des Pieds Nickelés et de Saran. Vol de 3 heures et nouveau décalage horaire d'1 heure et on n'y comprend plus rien entre la Corée, UB et Khovd, mais finalement on s'en fout complet, non ? Les montagnes à l'arrivée sont couvertes de neige et c'est par un soleil splendide et un ciel bleu azur que nous nous retrouvons sur le tarmac. Température raisonnable avec le soleil, amplitude thermique dans la journée : - 9 / - 25 degrés, ce qui, pour la Mongolie à cette époque, n'est pas froid du tout. On récupère nos bagages, mais, sur le parking... personne ne nous attend, j'aurais dû parier. Le temps de trouver le numéro de téléphone de la directrice de l'hôpital que Khishgee vient de perdre, mais finalement de retrouver, on rentre se mettre au chaud en attendant une voiture. Ce sont en fait 3 voitures qui viennent nous chercher, normal, nous devions être 10 et la directrice n'a été prévenue ni de notre horaire d'avion ni de l'arrivée échelonnée de l'équipe. Direction l'hôtel qui est lui aussi un nouvel hôtel, Royal Hotel qui, je vous rassure, n'a de royal que le nom. On rentre dans le petit hall désert... On appelle... On tape dans les mains... On crie... Personne, alors on attend et une Mongole hallucinée complet apparaît en haut d'un escalier de bois. Ah oui, les réservations... Mais les chambres ne sont pas prêtes...
Vraiment, j'adore l'hôtellerie mongole, faite de gags enchanteurs, à chaque instant renouvelés. J'attends avec impatience le petit déjeuner qui devrait donner lieu à un spectacle truculent, à suivre demain. Bon, les acteurs sont en place, la directrice de l'hôpital, Saran, Khisghee, le professeur et moi, et dans la mise en scène, l'hallucinée mongole qui remonte l'escalier avec un tout petit panier d'osier où se battent des clés non numérotées. OK, alors laquelle pour quelle porte ? Finalement au 1er étage, j'ai une suite pour moi toute seule, une vraie, une suite... ben... royale ! Didier aura la même en face demain, les interprètes partagent une chambre 3 portes plus loin et le Professeur est logé au 2ème. J'ai donc un grand salon glacial, une chambre avec un grand lit et un oreiller tout plat fourré de noyaux ou de noix - je sens bien bien la nuit et le torticolis demain matin - et une salle de bains où, devinez, il n'y a pas d'eau ! J'interroge, via Sara, mon hallucinée qui vient de me donner une clé avec une étiquette et le numéro de ma chambre, 202, si vous voulez passer boire un thé, vous êtes les bienvenus, et elle explique qu'il n'y a pas d'eau, mais que c'est normal car il y a des "petits travaux" dans l'hôtel. Ben si c'est normal, c'est normal, il n'y a donc aucun problème; il est 15 h et nous partons... déjeuner! 



Dans un restaurant proche de l'hôtel, je réussis à avoir un genre de riz cantonnais tandis que les autres ingurgitent des portions impressionnantes de soupe mongole au mouton et aux yeux qui flottent. On nous sert la boisson traditionnelle : un grand broc d'eau bouillante, mais je négocie un sachet de thé Lipton, juste histoire de colorer l'eau. Départ ensuite en voiture à l'hôpital qui me paraît un peu loin à pied, 20 minutes, me dit la directrice. Je testerai en me levant tôt parce que je ne sens pas trop le coup chaque matin d'attendre tout le monde et la voiture de l'hôpital; à voir, je réfléchis. Je veux revoir le bloc et ranger le matériel et les médicaments que j'ai eu la bonne idée d'apporter car le fret n'est pas dédouané, merci MDM. La surveillante du service de traumato nous accueille et nous montre le bloc dans laquelle nous allons travailler qui n'est pas du tout le même qu'en juin avec Delphine. Il est plus petit et il n'y a qu'une seule table. Avec 3 chirurgiens, je ne sens pas du tout le coup. Je demande de changer de bloc, pas possible, alors je demande qu'on nous rajoute une table, ce qui me paraît jouable en changeant le sens de la 1ère mais je nous vois partis pour un joyeux bordel.
Je continue à jouer les emmerdeuses et je demande un local attenant au bloc pour nous changer et ranger le matériel; c'est ok immédiatement et, confiance absolue, on me confie la clé d'une pièce attenante au bloc pas très grande mais qui a le mérite d'exister. Je range ce que j'ai apporté, mais quand tous les cartons du fret MDM vont arriver, la situation va sérieusement se corser. Pas de panique, un jour après l'autre. J'ai aussi besoin d'une 2ème pièce, proche du bloc, avec 2 lits et un obus d'oxygène pour faire fonction de salle de réveil. La pièce on trouve, les lits et l'oxygène seront mis demain, mais objectivement je n'y crois pas du tout. 
C'est bon pour ce soir, de toute façon c'est dimanche et il n'y a personne à l'hôpital. La directrice nous ramène à l'hôtel où l'eau est revenue, en provenance directe des montagnes enneigées, glacée! Réunion dans mon salon pour préparer la journée de demain, le congrès de chirurgie des brûlés. Khisghee retrouve sur son ordinateur un topo que Didier avait déjà fait et me demande de le présenter. Je lui dis que ça n'est pas du tout ma partie, mais elle insiste et me demande juste de le lire, Sara se chargeant de la traduction. C'est du grand n'importe quoi mais je dois être solidaire, alors…

Nouvelle tentative pour l'eau, toujours glacée. Je descends avec Saran en parler à ma copine et tenter aussi de négocier le petit déje de demain. L'eau chaude d'abord, il y a une "manipulation" à faire, elle va me montrer. Le petit déje ensuite, alors là, quand je parle de 7h30, je vois ses yeux s'agrandir, ses pupilles se dilater, ses cils papilloter et je la sens proche du malaise, mais je continue. Que nous propose-t-elle pour le dit petit déje? Des yaourts? non, du jus de fruits, même du mauvais? non. Alors quoi ? Du pain et du beurre, génial! Et du thé salé au lait rance. Alors là cocotte, ça va pas le faire, mais pas le faire du tout; je vais pas commencer à vomir en arrivant prendre mon petit déjeuner. - "T'aurais pas une tasse d'eau chaude et un sachet de thé Lipton???? T'as? Mais fallait l'dire tout de suite! Allez, banco pour demain matin 7h30!"
Sur ce coup là, je suis sûre de moi, à 7h30, la salle à manger sera fermée, la cuisinière que ma nouvelle copine doit appeler, ne sera pas arrivée et je me prépare à un spectacle mongol grandiose dont je me réjouis déjà.

Retour à l'eau chaude, elle monte avec moi pour me montrer la manip à faire et là, je vous le donne en mille, elle me montre comment tourner le robinet d'eau vers la gauche! J'éclate de rire, Sara avec moi et elle ne comprend pas vraiment les causes de notre hilarité. Suite des négociations - " t'aurais pas un autre oreiller avec moins de noyaux et une couverture supplémentaire parce qu'il fait très froid dans ma suite?" Pour l'oreiller, c'est vite réglé, elle en pique un dans une autre chambre, mais pour la couverture, il va falloir attendre le manager qui arrive à une heure incertaine. Ben voilà, on a fait le tour des problèmes. Allez, on est en mission humanitaire, faut bien qu'on en bave un peu.
Je m'interroge maintenant sur la procédure à envisager pour me déshabiller dans cette pièce froide, prendre une douche à l'eau glacée et me coucher les cheveux mouillés sans attraper une pneumonie. Je fais couler la douche, rien, je tourne une manette rouge, le précieux liquide coule en un mince filet; 20' plus tard l'eau est passée de glacée à froide, je me lance en claquant des dents.
Fin de cette nouvelle journée où nous n'en sommes qu'aux préparatifs. Nous avons prévu, avec Khisghee, de faire quelques consultations demain à 16 h à la fin du congrès et d'opérer mardi toute la journée.

PS : Si pas de suite à cette histoire demain, c'est que j'aurai été rapatriée pour pneumonie par avion sanitaire. 


Lundi 24 novembre

Nuit pourrie par le froid. Impossible de rentrer sous la douche glacée, toilette de chat minimum et je me rhabille pour dormir. J'ai les pieds gelés, les mains gelées, la tête gelée et j'ai l'impression que mon cerveau fonctionne au ralenti avec ce froid qui paralyse. Sous la fenêtre, la musique qui monte d'une boîte de nuit, alors qu'il est déjà plus de minuit, n'est pas propice à un endormissement serein. Petit coup de blues... Il faut absolument que j'arrive à m'endormir et demain je demande une autre chambre.
Réveil à 7h15, j'ai dormi toute habillée, roulée en boule, avec des chaussettes de soie qui tiennent chaud. L'ambiance dans la chambre est à la fraîcheur matinale d'une fin de nuit mongole en novembre. Khisghee vient me chercher pour le petit déjeuner et, à ma plus grande surprise, la porte de la salle à manger est ouverte. Un peu... beaucoup d'attente et nous récupérons du thé chaud, ça se complique un peu pour leur faire comprendre que je ne veux pas de cette omelette bien grasse avec tomate et cornichon posée sur le pain de mie rassis avec le beurre et la confiture que la serveuse vient de nous apporter. Mais Sara est un amour et on y arrive avec un peu de patience. Demain, sûr, ça sera nickel.

Le chauffeur nous attend et nous partons finalement à la Direction de la santé où va avoir lieu le congrès. Chaque participant a un certificat attestant sa présence à la formation avec un tampon de la Direction de la santé, le tampon de l'association des chirurgiens de brûlés qu'a fondée Khisghee et le logo MDM avec le nom de Didier comme représentant. Khisghee les a déjà tous signés, à mon tout de signer, à la place de Didier, les 100 certificats. La salle est comble, ils sont un peu plus de 80 et je suis vraiment heureuse pour Khisghee qui s'est donnée beaucoup de mal pour tout organiser. Les présentations durent de 9h15 à 13h30 avec pause café en milieu de matinée et même si les présentations en Mongol sont quelque peu soporifiques pour moi, les vidéos sur la chirurgie, les pansements, les attelles et les vêtements compressifs, parlent d'elles mêmes et sont très intéressantes. Je présente le PowerPoint de Didier sur la prise en charge des brûlés et je suis un peu mal à l'aise. Heureusement la présentation est simple et claire, Sara fait la traduction simultanée et je travaille depuis suffisamment longtemps avec Didier sur les brûlés en Mongolie pour pouvoir répondre à la plupart des questions. Nara, le prof de la fac fait aussi un topo, puis Khisghee fait des QCM avec une participation très active des gens présents, manifestement très motivés et très intéressés par le sujet. Certains viennent de loin, sont isolés dans leurs villages et la prévention et les premiers soins les interpellent. Je termine sur le traitement de la douleur chez l'enfant brûlé et, comme je n'ai rien préparé, j'institue, via Sara, un jeu de questions - réponses sur leurs habitudes, les médicaments utilisés et leur posologie et j'ajuste en fonction de ce qu'ils me disent. C'est très vivant et ils sont nombreux à participer mais je ne peux que les féliciter de leur pratique et insister surtout sur la prévention de la douleur en leur expliquant bien l'intensité de la douleur chez l'enfant brûlé et la nécessité de faire les antalgiques en systématique, sans attendre que l'enfant hurle, ce que, manifestement, ils ne font pas.




Retour à l'hôtel pour pause repas. Saran appelle Khisghee depuis UB et demande à me parler. Elle a eu le transitaire et le fret devrait, en principe, partir avec l'avion de demain, bonne nouvelle, on y croit. Moins bonne nouvelle : l'avion pour Khovd de demain est plein; il n'y a qu'une seule place qu'elle a réservée pour Didier. L'agence a quand même conseillé que toute l'équipe se présente à l'aéroport en cas de désistement, mais il y a peu d'espoir que tout le monde puisse embarquer. Bon, le bordel continue et je ne veux pas imaginer l'état de Didier qui n'a pas répondu à mon message d'hier où je lui expliquais ce que j'avais fait à l'hôpital. Il doit être en colère et peut-être furieux contre moi parce que je suis partie à Khovd, mais Khisghee et Sara me confirment que c'était la bonne décision puisque le congrès était organisé et que les patients sont convoqués ici à partir de cet après-midi.
Le repas est à l'image des autres : compliqué et je réussis à avoir un bol de riz sans goût, ni bon, ni mauvais, du riz quoi, des sucres lents qui aident à avancer, surtout quand il fait froid.

Le chauffeur est ponctuel, retour à l'hôpital pour la consultation. Nous voyons 17 patients, adultes et enfants confondus. Mêmes horreurs habituelles qui font mal, séquelles rétractiles de brûlures de toutes les parties du corps qui font peur quand on pense aux souffrances endurées pour en arriver là. Mêmes petits visages bien joufflus, bien morveux avec le froid, qui rient ou qui pleurent en entrant dans la pièce, que les mamans mettent longtemps à déshabiller puis à rhabiller car elles ont entassés les sous-pull et les pull, les chaussettes, les collants et autres pantalons de jogging et l'anorak à capuche qui recouvre un bonnet de laine. Je les regarde et je me vois, même combat vestimentaire pour tout le monde ici quand il fait froid. Nous en sélectionnons 4 pour demain, 4 pour jeudi; pour plusieurs, il n'y a pas d'indication opératoire; certains refusent la chirurgie et je le demande juste pourquoi ils sont venus. Khisghee et Nara, le 2ème chirurgien, prescrivent des pommades ou de la kiné. Un enfant de 3 ans a un pied bot, bloqué dans une attelle, Nara explique à la maman qu'il ne pourra faire une ostéotomie qu'à l'âge de 5 ans et elle repart déçue, son fardeau dans les bras.

Il est environ 17h30 quand le téléphone de Saran sonne; c'est Didier qui veut me parler. Le ton est un peu sec, mélange de colère teintée d'affection, qu'est ce que je vais me prendre sur la gueule? Il m'explique qu'il est à UB avec le reste de l'équipe. Ouf! les Pieds Nickelés ont trouvé le bon vol et la bonne porte! Je ne dis rien, bien sûr, ça serait trop simple d'en rajouter une couche. Mais il me dit surtout qu'il annule la mission Khovd et que tout reste à UB, équipe et fret solidaires. Et vlan ! Je tombe de la chaise... Et moi, je fais quoi ? J'ai tout organisé ici pour lui dérouler le tapis rouge, le bloc est prêt, j'ai fait équiper un semblant, de salle de réveil, l'équipe locale est à fond et Monsieur annule tout. Et... on annule pourquoi? Il n'y a qu'une place dans l'avion pour Khovd demain ? Bonne raison, mais tu peux venir, non? Je te rappelle qu'on est venu en Mongolie pour une mission à Khovd. Didier: - "Tu es partie à Khovd bille en tête et maintenant je dois rentabiliser la mission". Ah bon! Bille en tête?... Rentabiliser la mission?... Ben ok alors, rentabilise, mon vieux, c'est toi le chef. Je lui parle du congrès de ce matin, 80 médecins présents, de l'investissement de Khisghee, de Nara, venu exprès d'UB, des 17 patients de la consultation et de ceux déjà programmés pour mercredi. Il continue : - "Toi tu fais ce que tu veux, tu restes à Khovd pour opérer avec Khishgee ou tu rentres travailler avec moi à UB". Ma décision est vite prise, je reste. 

Je raccroche et je fonds en larmes, ce qui est nul, je le sais, mais il y a des frontières à ne pas franchir et là, Didier vient juste de franchir la ligne rouge en m'accusant d'être là où nous devrions tous être pour respecter nos engagements, ceux de MDM que nous représentons. Je parle avec Khisghee et Saran, totalement désemparées par la décision de Didier et nous décidons de poursuivre notre mission ici jusqu'à jeudi midi puisque, de toute façon, Khisghee et Nara ont un vol retour pour jeudi après-midi. Je rappelle Saran et lui demande de voir si elle peut changer les billets de Sara et le mien, prévus sur le vol de samedi, pour que nous puissions nous aussi rentrer jeudi après- midi. Et re changements de billets et re pénalités de remboursement, Saran est héroïque dans cette mission de cinglés où s'enchaînent, au fil des heures, au fil des jours, ordres et contre ordres, dans
une organisation initiale qu'elle s'était investie à caler sans failles et qui devait rouler. Ce que Didier appelle : - "rentabiliser la mission", il faudra que je m'en souvienne pour une autre fois.

Retour à l'hôtel où je change de chambre; celle-ci est petite, avec 2 lits, le radiateur marche et il y fait bon, ouf! l'eau est froide, normal, on verra plus tard.
Il me faut régler maintenant le problème financier, ce que je n'avais pas prévu puisque MDM a versé l'argent de la mission sur le compte de Didier. Il y a une banque et un distributeur proches de l'hôtel; je commence par retirer 100 000 tougriks pour payer nos repas et je retirerai de l'argent pour l'hôtel jeudi parce qu'il faut tout payer en liquide. Pas de paiement par carte bancaire à Khovd, ça serait trop simple.
Resto près de l'hôtel, je me force à grignoter des spaghettis mongoles avec quelques tomates en regardant les 3 autres ingurgiter d'énormes assiettes de ragoût de mouton et de bœuf aux pâtes chinoises. On rajoute des bols de riz, ils ne devraient pas avoir faim dans la nuit...
Réunion de crise à l'hôtel dans la chambre des filles; il nous faut du matériel et des médicaments pour opérer une dizaine de patients. J'avais anticipé le retard du fret et j'ai de quoi endormir pour demain mais je vais vite être à court. Les chirurgiens ont besoin de tout pour opérer, des lames de bistouri aux fils de suture, mai aussi compresses, vaseline, tulle gras et tout ce va bien pour les pansements de brûlés. On va se débrouiller avec le matériel local pour demain mais il faut absolument que Didier trie le fret et nous mette un colis à l'avion demain. Je lui envoie une liste par mail - merci le wifi, on ne serait pas dans la merde sans toi... -, il répond rapidement qu'il va s'en occuper mais aussi qu'il est désolé - ah ouaih ! - et qu'il m'embrasse très très fort... Pas moi...
J'écris à MDM pour faire le point de la situation ce soir, ravalant ma tristesse et mon chagrin. Réponse rapide pour m'encourager; ce que j'ai fait est ce qu'il fallait faire, je dois continuer à Khovd.

Vers 23h, nouvelle tentative pour l'eau; oui, j'ai bien compris la manip que m'a expliquée ma copine hier soir, je tourne le robinet vers la gauche et là, miracle, tout doucement l'eau se réchauffe à une température acceptable pour la douche. La douche... Juste le bonheur... Un bonheur simple, certes mais un bonheur vrai que je sais savourer.
Message de Sophie de MDM -Opération Sourire -; elle vient de recevoir l'article qu'un journaliste a fait sur moi, à l'occasion des 25 ans de l'Opération Sourire, sur une mission en Mongolie pour "Le Petit Quotidien", un journal pour enfants. Elle m' écrit, après avoir lu l'article : -"C'est une belle journée, non?" Elle a raison, Sophie, l'article et les photos sont super, c'est une belle journée.
Il faut maintenant absolument que je dorme, j'ai des cernes jusqu'au milieu de la figure, une tête à faire peur. La musique de la boîte de nuit a repris sa mélodie hystérique, je mets des heures à trouver le sommeil en pensant à cette mission que je tente de porter à bout de bras, mais qui est depuis Séoul et les Pieds Nickelés, déjà foirée. Mais je pense à Sophie, aux enfants qui vont lire "Le Petit Quotidien" et découvrir ce qu'est une mission humanitaire auprès des enfants brûlés du bout du monde, alors que Noël approche et je me dis que, oui, c'est une belle journée.



Mardi 25 novembre 
Je sursaute à la sonnerie de mon réveil-téléphone; je n'ai pas assez dormi, mais j'ai dormi et nous commençons à opérer ce matin, alors... Vite levée, vite lavée, je dévale les escaliers direction le petit déjeuner. Même scénario qu'hier, même omelette dégoulinante d’huile, mais cette fois ils ont fait plus fort, ils ont rajouté du lard, mêmes tomates, mêmes cornichons sur le même pain de mie rassis. Alors stop, on arrête tout, on rembobine, on reprend et on apporte pour Anna - mon prénom ici - le même pain de mie rassis mais vierge de toute omelette au lard et maintenant c'est bon, je peux déjeuner.

8h30 : Le chauffeur est ponctuel, départ à l'hôpital. Emmitouflée dans ma doudoune, coiffée d'un bonnet, je n'ai pas froid. Seul bémol, les crevasses qui se creusent insidieusement au bout de mes deux pouces et qui vont me gêner pour travailler. STOP! t'arrêtes tes pleurnicheries et tu penses aux petits brûlés. C'est vrai, c'est quoi ce délire sur deux petites crevasses?






Dans le service, nous sommes attendus et tout est prêt comme je l'avais demandé, incroyable! 2 lits et 1 obus d'oxygène dans la "salle de réveil", 2 tables au bloc pour opérer à 2 équipes. Sans me perdre dans des explications inutiles, je les remercie beaucoup pour tout et j'aide un infirmier à sortir la 2ème table au prétexte que, finalement, c'est un peu serré et qu'une seule équipe va opérer. On nous prête un bureau où bout déjà de l'eau chaude pour le 1er Nescafé de cette matinée opératoire. Une maman arrive avec une petite fille de 3 ans assez défigurée par une effroyable brûlure et dont la main droite est un moignon. Elle m'embrasse et me remercie de m'être occupée de sa fille avec Delphine en juin 2012. Je tente de rassembler mes souvenirs, mais quand l'horreur se mélange à l'horreur, les souvenirs s'entremêlent dans une confusion obscure que la mémoire enfouit.

Dans la pièce dont ils m'ont confié la clé dimanche et où j'ai rangé le matériel et les quelques peluches (bambarouches en Mongol) que j'ai apportés, je me change et je prends les drogues dont j'ai besoin pour le bloc. Louneii est une jeune anesthésiste qui va travailler avec moi et qui baragouine 3 mots d'Anglais, yes, no et ok. Bon, on va le faire en Mongol par sécurité et j'appelle Sara pour traduire. Il y a un monde fou dans ce bloc et je n'arrive pas à savoir qui est qui, beaucoup de médecins stagiaires, me dit Sara. Ce bloc est un frigidaire congélateur et j'empile deux T-shirts chauds pour affronter la journée.



Ertembouyar a 3 ans, les joues bien pleines de ses 18 kg et le regard apeuré des enfants inquiets. Bambarouche dans les bras, il accepte de venir avec moi, hurle et se débat pour la piqûre de Kétamine dans la fesse qui va nous permettre de poser la perfusion, puis je le sens se détendre, sa tête se blottit dans mon cou, ses pleurs cessent, le spectacle peut commencer. Ses bras aussi potelés que ses joues compliquent quelque peu la pose de la perfusion, mais une infirmière anesthésiste réussit après de multiples essais. Entretemps, j'ai repéré rapidement le fonctionnement du respirateur qui nécessite de ballonner non stop à la main, mais il y a des gaz pour entretenir l'anesthésie et aussi un scope plutôt récent et qui fonctionne, cadeau, je lis l'étiquette collée dessus, "from the people of Japan". Je fais sortir les 15 personnes qui ont envahi le bloc et je garde le personnel minimum pour endormir dans le calme.
Khishghee

Je donne à Louneii la posologie des drogues que nous allons utiliser, je vérifie ses calculs et mon petit bonhomme s'endort; je l'intube, on fixe, on sécurise, on ventile à la main et Khisghee et Nara peuvent entrer en scène. Il nous faut mettre l'enfant à plat ventre, ce que je n'aime pas car on risque de l'extuber si les gestes sont brusques, mais la chirurgie se fait sur une cicatrice rétractile de l'arrière de la jambe gauche et il n'y a pas le choix. Je le couvre pour qu'il ne se refroidisse pas. Tout se passe bien, mes amis chirurgiens ont des gestes sûrs, mais quand Khisghee me réclame des fils de suture, des pansements et du tulle gras, je lui explique que je ne suis pas le Père Noël et qu'elle va devoir gérer avec les moyens du bord. Pour les fils et les pansements ok, elle gère mais pour le tulle gras, barko (il n'y en n'a pas). Alors on envoie tout simplement un chirurgien en acheter à la pharmacie du coin et on laisse l'enfant dormir en attendant son retour, where is the problem?
Nous nous relayons pour pomper le ballon qui permet de ventiler. En ballonnant, je pense surtout à l'avion qui arrive cet après-midi, en espérant que Didier aura pu mettre à bord tout ce qui manque ici et notamment du tulle gras. Pansement et extubation sans problèmes; je demande si tout est prêt dans la salle de réveil, si l'oxygène est ok, Louneii me dit que oui et je la crois, mais en arrivant, oxygène barko, la bouteille est vide. Je reste calme, je demande s'il y a un extracteur d'oxygène car je me souviens en avoir utilisé un à la mission précédente et on me l'apporte rapidement. Le petit va bien, je contrôle sa saturation d'oxygène qui est parfaite et je le laisse sous la surveillance d'une infirmière anesthésiste, tandis que son papa, les larmes aux yeux, serre et secoue mes mains en répétant Bayershla Bayershla (merci merci). Deuxième nescafé de la matinée et, même s'il est franchement dégueulasse, il requinque et fait du bien.


Retour au bloc. Enkhjargal a 10 ans, elle est tombée dans le feu à 6 ans. Il faut lâcher les brides du périnée et une petite rétraction du creux axillaire. Anesthésie et réveil sans souci, salle de réveil pour surveillance. J'ai extubé les 2 enfants moins de 15' après une anesthésie de plus de 2 heures et je suis juste contente de ce que nous avons fait. Dans le bureau, pour une petite pause riz - nescafé, j'apprends que Saran a appelé Khisghee entre les 2 interventions pour lui dire que le matériel n'était pas dédouané et que notre commande faite à Didier hier soir était ... était quoi??? Ben, était barko!!! Et vlan, comme hier, mais pour des raisons différentes, je tombe de la chaise. MAIS C'EST QUOI CE BORDEL?????????? 
Les Pieds Nickelés qui ratent l'avion, Didier qui annule la mission et le matériel, arrivé en même temps que nous, donc beaucoup trop tard, qui n'est pas dédouané !!!!! Je ne sais même plus s'il faut en rire ou en pleurer. Apparemment Didier a raclé le fond de son sac où il avait un peu de matériel et nous en envoie pour les pansements, mais ça va être short et tous les médicaments anesthésiques, antalgiques, antibiotiques et autres plaisanteries sont dans le fret, chez le transitaire,non dédouané et je peux, moi, aller me rhabiller.
Nous enchaînons les consultations; le couloir est plein d'enfants qui braillent et se roulent par terre pour ne pas entrer dans le bureau. Nous aurions de quoi travailler toute la semaine. Nous en programmons pour demain et jeudi matin, mais je me demande comment nous allons pouvoir opérer avec le matériel manquant. Moi je vais me débrouiller, je termine mes drogues et je la joue mongole ensuite, ça devrait aller. Mais va-t-on envoyer, chaque matin, un chirurgien à la pharmacie pour acheter du tulle gras? Ça va vite devenir barko pharmacie et je me demande qui va payer cette petite plaisanterie. Quand je pense aux trésors enfouis dans le fret! C'est un peu comme un bateau rempli de caisses d'or qui aurait coulé; on sait où est l’or, mais on ne peut pas le récupérer.

Nouvel appel de Saran pour la suite des bonnes nouvelles : Didier ne peut pas opérer 1- parce qu'il n'y a pas de patients, comme l'avait prédit Khisghee 2- parce que le "manager qualité" de l'hôpital de traumato refuse qu'il opère car, en l'absence de mission programmée, il n'a pas de licence. CQFD, nous éclatons toutes de rire et ça fait du bien de rire et de se dire qu'au moins ici on bosse et qu'on n'est pas venu pour rien. Mais au fait alors, Didier et ses Pieds Nickelés, ils font quoi s'ils n'opèrent pas ? Eh bien ils consultent... Et demain ? ils consulteront encore... et jeudi? ils auront PEUT-ÊTRE UN, mais vraiment UN seul malade à opérer, les négociations sont en cours.
Cette fois ci, c'est carton plein! 
Je repars au bloc pour piquer la rachi d'un jeune garçon de 13 ans qui a une rétraction, post brûlure, du dessus du pied. Je m'arrête dans la chambre de mes 2 petits protégés de ce matin; ils dorment calmement, l'un à côté de l’autre, et de nouveau le papa du premier serre et secoue mes mains pour me remercier. Rachi vite piquée, Khisghee et Nara se lavent les mains tandis que Sara part à l'aéroport avec le chauffeur de l'hôpital pour récupérer le sac de matériel et nos billets d'avion pour jeudi. Intervention sans problème, on gonfle le garrot avec une pompe à vélo tandis que l'enfant somnole. Le 3ème patient, un adulte avec des cicatrices rétractiles de la main, à qui je devais faire une anesthésie loco régionale, vient de s'annuler car on est mardi, jour maudit en Mongolie où les pires catastrophes risquent d'arriver. Il est donc très fréquent que les patients refusent d'être opérés le mardi.
En fin d'intervention, nouvelles consultations, beaucoup de petits de moins de 5 ans. Certains sont venus de loin, de très loin même pour nous voir. Cette maman avec cette fillette de 3 ans a fait plus de 200 km pour qu'on l’opère, mais notre programme est déjà plein, d'après ce que me dit Khisghee car, en l'absence d'interprète, j'ai du mal à comprendre comment s'organise le programme opératoire.

Khishghee, Anne-Marie, Nara


Retour de Sara, du sac de matériel et de nos billets d'avion pour jeudi. Didier a mis ce qu'il a pu et même si ça n'est pas beaucoup, c'est déjà un peu pour les chirurgiens. Il est plus de 18h et il fait nuit quand nous terminons. Nous avons fait aujourd'hui une vingtaine de consultations dont une majorité de tout petits et nous avons opéré 3 enfants. Il me semble que nous avons rempli le contrat. Il n'y a plus de voiture à cette heure un peu tardive et c'est à pied que nous rentrons, en marchant prudemment sur les trottoirs verglacés. 
En arrivant à l'hôtel, eau froide, comme d'hab, et pourtant j'ai bien intégré la manip du robinet à tourner vers... la gauche! gagné ! Nara va dîner dans sa famille qui est originaire de Khovd; nous partons, les trois filles, dans le petit resto juste à côté. C'est un resto certes, c'est marqué sur la porte mais ce soir, pour les filles qui ont décidé de manger léger, c'est soupe barko, légumes barko, salades barko. Je propose de prendre le problème à l'envers et de demander à la serveuse ce qui n'est pas barko. Comme elle est sympa, elle file jusqu'au restaurant voisin pour leur demander ce qu'ils ont et revient avec quelques tomates et concombres coupés en petits dés et une salade de bœuf froid avec des pâtes chinoises. Mmmmmmmm!!! Ça m'a l'air délicieux, tout ça ! Euh... y vous resterait pas quelques spaghettis d'hier aux tomates en boîte ? Et voilà, comment, ce soir encore, nous réalisons un festin à Khovd, ville du nord mongol, réputée pour sa gastronomie. Nous venons de manger pour 15 000 tougriks soit 2 euros par personne.
A l'hôtel, nous organisons, enfin nous tentons d'organiser le petit déjeuner pour demain. Sara répète que je ne mange pas leur délicieuse omelette et qu'elle même ne veut pas de cornichon. Ma copine du 1er jour vient de tout noter... dans sa tête. Dehors le vent souffle et il fait froid. Je vais tenter de dormir au rythme de cette musique qui, comme chaque soir, monte de la boîte de nuit, troublant ces premières heures où le sommeil tarde à venir.




Mercredi 26 novembre
J'ai peu et mal dormi sur un matelas trop dur et un oreiller rempli de noyaux; normal sans doute que je me réveille fatiguée avec encore cette musique de folie qui martèle ma tête faisant monter la migraine. J'ai peur de me regarder dans la glace en me brossant les dents à l'eau... froide? Mais pas du tout, voyons ! À peine tiède ce matin et ça suffit pour les dents. Mes cernes se creusent au fil des jours qui passent, trop de pression, d'incertitude, de fatigue, de peur de l'erreur. Je me trouve moche, mais on ne me demande pas d'être belle, ça tombe bien; on n'est pas ici pour un défilé de mode ni pour représenter Lancôme, dommage d'ailleurs, pour Lancôme, on serait riche... Bof! Riche de quoi? Allez, trop de questions nuisent à l'action et ce qui me motive ce matin,
c'est le message de mon amie Delphine, mon amie de coeur, chirurgien des brûlés à Lyon, une pro, sans qui cette mission ne serait pas. C'est avec elle que j'ai fait ici, à Khvod, la première mission en juin 2012, que du bonheur!!!

Au petit déje, où j'arrive en même temps que Nara, c'est l'heure de l'ouverture des portes et du ménage, rien n'est prêt, on reste zen. J'aide ma copine, oui, oui, toujours la même, celle qui a tout mis dans sa tête hier soir, celle de la manip pour l'eau chaude. Allez, j'enlève les chaises posées sur les tables pendant qu'elle fait bouillir l'eau, je prends les tasses et les couverts et là, bon point, elle nous apporte un petit bol de yaourt mongol liquide, que je trouve objectivement délicieux et je la remercie abondamment, un placement pour demain matin, sait-on jamais ? L'eau chaude arrive pour le thé, je prends sur le bar nos 2 tranches de pain, plus rassis de jour en jour, on s'en fout, on a du yaourt. Les filles ne sont toujours pas là, Nara les appelle, elles ne se sont pas réveillées et apparaissent quelques minutes plus tard ébouriffées mais... maquillées! Eh oui... Lancôme... en même temps que des oeufs durs qui remplacent l'omelette. Bon tout va bien, le chauffeur est déjà là pour nous emmener à l'hôpital. Khisghee me fait rire car elle est très soucieuse de son apparence, se regarde souvent dans la glace et se remet de la poudre sur le visage entre 2 interventions; je lui dis que ça n'est pas la peine et qu'elle est très belle comme ça, ce que je pense vraiment.


En entrant dans l'hôpital, l'odeur mêlée de chou et de mouton me saisit et me donne la nausée. Respire Anna, pense au yaourt pour le goût, pense à Lancôme pour les odeurs, ça va passer... et ça passe bien sûr. J'installe vite le bloc. L'anesthésiste n'est pas là, mais l'infirmière oui, arborant fièrement la coiffe de bloc Humaniterra que je lui ai offerte hier soir. Marlmaa, 6 ans, lui donne la main mais ne sourit pas, elle est terrorisée. -"Anna, bambarouche!" Je lui rapporte une drôle de vache, verte et blanche au museau rose et aux oreilles orange, tellement rigolote que je la vois ébaucher un pâle sourire. 
Les bambarouches

Moment délicat de l'injection intra musculaire de Kétamine où l'enfant hurle et se débat jusqu'au début de l'effet du médicament quand les muscles se relâchent, la voix devient pâteuse, les paupières lourdes et où le calme revient, permettant de poser le cathéter et d'endormir. Induction, intubation, fixation, installation, c'est une bonne IADE (infirmière anesthésiste) qui connait bien son job et s'intéresse, pose des questions sur ces nouveaux médicaments que j'ai apportés comme autant de présents. Elle me fait beaucoup penser physiquement à Otran, une IADE de l'hôpital des brûlés que j'ai formée sur plusieurs missions et en qui j'avais une absolue confiance. La petite dort, Khisghee et Nara opèrent cette vilaine cicatrice rétractile du bras, Louneii débarque à 9h45, sourire aux lèvres, elle aussi très fière de sa coiffe Humaniterra. Petits cadeaux, grand bonheur, alors je suis heureuse moi aussi. Je m'étonne moi-même de réveiller ma princesse aussi vite et de l'extuber moins de 15' après la fin de l'intervention; salle de réveil où il faut consoler une maman en larmes, oxygène et surveillance de la saturation, c'est ok, on a bien droit à un petit Nescafé pas bon, non?

Si, si, c'est une perceuse... 

Je retrouve Khisghee dans le bureau et Khisghee, après s'être repoudrée le bout du nez, mange. Khisghee a toujours faim, alors elle mange, des bonbons, des gâteaux, du pain, des sucres et ces petits morceaux de fromage mongol qu'on vient de nous porter, durs comme de la pierre et qui sentent le vomi. - "Anna, mange, ça va te donner des forces!" Euh.... comment te dire Khisghee? Des forces, j'en ai plein et puis, je n'ai vraiment pas faim.


En salle de réveil, la petite hurle de douleur; le papa, couché sur elle, caresse son visage et chuchote à son oreille, la maman, de nouveau en larmes, lui masse les pieds. Quelques ml de mes potions magiques font miracle; la petite se détend et se rendort paisiblement, la maman ne pleure plus et le papa murmure un "zankiou" maladroit et mal prononcé, mais dans lequel il met tout son coeur.




Retour au bloc où ça va se compliquer. Il me faut endormir une femme de 49 ans qui a été gravement brûlée sur le bas du visage et le cou, qui ne peut pas relever la tête à cause des rétractions et qui ne peut pratiquement pas ouvrir la bouche. Tu vois, Delphine? Comme au Pakistan après le vitriol. Heureusement j'ai mon GlideScope et je sais que je vais réussir à l’intuber, mais je sens le stress qui monte. D'abord bien m'installer, demander le calme à tous ceux qui m'entourent et qui filment avec leurs portables, bien expliquer à la patiente que je vais lui faire respirer de l'oxygène, puis que sa tête va tourner et qu'elle va s'endormir. Je lui caresse la joue pour la rassurer, Sara traduit en lui parlant doucement. Je me sens un peu seule même si Sara, à mes côtés, est une aide précieuse; je n'ai droit qu'à un set et un set gagnant. Mes pensées volent vers toi, ma petite Delphine, vers tes encouragements quand nous avons galéré ensemble sur ces patientes difficiles; début de la procédure dans un silence de cathédrale, l'IADE pousse les drogues et j'intube, du 1er coup, tandis que tous fixent l'écran sur lequel on voit ma sonde d'intubation progresser vers la trachée, instant magique où tout s'arrête, rideau, applaudissements, merci Delphine d'avoir été à mes côtés. Je souris sous mon masque; je sais que, sans moi, mais surtout sans mon super GlideScope, cette patiente n'aurait pas pu être opérée car impossible à intuber. La suite, pour moi, est sans problèmes, il me faut juste bien gérer les doses de morphiniques pour qu'elle n'ait pas mal et que Khisghee et Nara puissent travailler au mieux sur cette intervention longue et très difficile pour eux. 3h45 plus tard, l'opération se termine, excision des brides, greffe de peau, beau travail de Khisghee, riche des enseignements de Delphine et de Didier, j'amorce l'atterrissage. Fermeture des gaz anesthésiques... Vérification de la porte opposée, désarmement des toboggans... Ça y est, je délire ... La patiente, de nouveau, respire seule sur son tube et se réveille doucement. Mais il faut du temps pour se réveiller après 4h d'anesthésie; elle ouvre les yeux, très calmement, 30' après la fin de l'intervention. Extubation sans problèmes, surveillance 1h, sous oxygène, en salle de réveil.




Il est 16h quand je rejoins les autres dans le bureau pour la pause repas. La famille de Nara, notre ami chirurgien, a apporté un véritable festin. Il y a des poissons entiers, fumés, me semble-t-il, à l'odeur, qui me regardent avec des yeux glauques, du riz froid mélangé à des céréales genre boulghour et millet, un grand pain rond mongol que je n'ai jamais vu, délicieux, et des gâteaux briochés tressés, comme nous les faisait la cuisinière, à l'époque héroïque de l'hôpital des brûlés, tu te souviens Delphine? C'est royal et après cette très longue matinée, je suis moi aussi contente de me reposer et de manger, un immense merci, Nara. Entre temps les consultations défilent, on entre, on sort et je tente, moi, de faire le break.
Poisson fumé au casse-croûte

Les news par téléphone de Didier via Saran qui a appelé Khisghee : Didier aurait fait ce matin une petite intervention, mais les patients vus en consultation hier ne reviennent pas. Tout est au conditionnel, j'écrirai à Didier ce soir. Ils ont changé d'hôtel pour se rapprocher de l'hôpital de traumato. Pas de nouvelles du fret.
Notre troisième patiente, une petite fille de 6 ans avec des séquelles rétractiles de la main et des doigts, est annulée car le moine a dit aux parents que ça n'était pas un jour favorable. On n'est pourtant pas mardi, mais contre le moine, personne ne peut lutter. Nous passons donc au suivant, un jeune de 16 ans, qui a une rétraction de la jambe gauche et que nous opérons sous rachianesthésie. Louneii vient de piquer la rachi, mais elle ne marche pas. Notre patient nous montre fièrement que ses 2 jambes bougent normalement, y a comme un problème. Je repique et quelques minutes plus tard, jambes plombées, il fait moins le malin. On l'installe sur le ventre et roulez jeunesse! En cours d'intervention, bingo, panne de courant, black out complet. Khisghee prend l'incident avec philosophie et continue à opérer éclairée par une lampe de poche. La lumière revient quelques minutes plus tard et l'intervention se termine sans incident. 


Je vais faire la visite pour m'assurer qu'aucun patient n'a mal. En fait tout le monde va très bien et le premier petit bonhomme d'hier matin fait des cabrioles sur son lit en éclatant de rire ! Que du bonheur, pour lui, sans doute, pour moi, sûrement! La patiente qui a mangé 4 heures d'anesthésie est calme et souriante dans son lit, non algique, impressionnante, bluffante. Je ne résiste pas à l'envie de la serrer dans mes bras pour la remercier de son énergie et de son courage; elle m'embrasse du bout des lèvres, ça n'est pas très facile avec son gros pansement.



À propos de manger, les Mongols me sidèrent. Quand je les rejoins dans le bureau, ils sont tous en train de dévorer, à mains nues, une énorme assiette de mouton, cadeau de la famille d'un patient. Quelques consultations entre 2 bouchées et le chauffeur nous ramène à l'hôtel. Saran m'explique qu'ils ne veulent pas manger ce soir parce qu'ils n'ont pas faim; Ah bon? Et moi ? Pas faim non plus, mais s'il y a un peu du délicieux yaourt de ce matin, j'en veux bien un bol. Eh bien, oui, il y a et il sera prêt à 19h30. Je demande aussi à Saran qu'on nous prépare la note pour que je paye ce soir parce que nous n'aurons pas le temps demain matin. Et puis il faut que j'aille retirer de l'argent et je ne me rends pas compte du tout de ce qu'il va me falloir payer, aucune idée du prix de la chambre ni des petits déjeuners. Au taux de change de l'euro, ça peut me faire 1 million de tougriks et il faut que Saran vienne avec moi au distributeur pour que je ne me trompe pas en espérant que ma carte Visa va accepter la somme demandée; surprise!!! Et puis, 1 million de tougriks, ça se transporte comment ? Comme ça, dans un grand sac ou il faut prévoir une brouette?



Programme de demain : une seule intervention sur une adorable petite fille de 2 ou 3 ans qui a une rétraction des doigts d'une main. Ensuite la directrice de l'hôpital et le Directeur de la Santé veulent nous voir pour nous remercier, mais nous n'aurons pas beaucoup de temps car l'avion décolle en tout début d'après-midi. J'ai commencé à ranger ce soir. Nous avons donné le reste du matériel envoyé par Didier au chirurgien chef de service, idem pour l’anesthésie, mais il ne me reste pas grand chose et il me faut garder un peu pour la fin de la mission à UB si nous pouvons opérer.
En me reconnectant au wifi de l'hôtel, je découvre un échange de mails entre Saran et MDM concernant le fret qui.... devinez... n'est toujours pas dédouané!!!!!!! Il manque des papiers, des autorisations, des tampons de MDM, bref, un joyeux bordel ! Ce que je crois comprendre, sous réserve, c'est que les autorisations étaient ok pour l'hôpital de Khovd, mais qu'il faut faire maintenant les autorisations pour l'hôpital de traumato, service des brûlés et donc on repart à zéro... ou presque... Les jours passent, jeudi demain, j'en suis à me demander si nous aurons le matériel avant notre départ... Merci les Pieds Nickelés…

J'ai rendez-vous avec Saran à la réception à 19h30 pour payer l'hôtel mais à 19h30 pas de Saran, pas de Khisghee et leur chambre est fermée à clé. Les filles de la réception, nombreuses ce soir et je me demande qui fait et comment vont être fait les comptes, ne parlent pas un mot d'Anglais; avec mes 10 mots de Mongol, on est un peu mal barré. Mais ma copine arrive et me dit karaoké.
Quoi karaoké? et où karaoké? Elle me prend la main et m'entraîne dans les sous-sols de l'hôtel où, effectivement il y a une grande salle de karaoké et à côté, 2 petits salons privés pour karaoké plus intime. C'est là que je retrouve mes copines, un peu défoncées après avoir descendu une bouteille de vin rouge; elles arrosent, me disent-elles, la fête de l'indépendance aujourd'hui. Ben super, les filles!!! Et Nara? Lui est dans un coin, mais je ne l'ai pas vu car la pièce est un peu sombre, enchaînant les bières, ça devrait aller... Et la note de l'hôtel? Toujours en cours? Ben d'accord, j'attends avec vous en mangeant mon yaourt alors. J'ai mangé mon bol de yaourt, j'aurais pu en manger 10; les filles ont chanté et chanté encore accompagnées par Nara, la surdouée de la calculatrice n'est pas revenue....
J'arrache Sara à sa mélodie et à son vin rouge et nous remontons à la réception pour trouver les minettes au bar en plein papotage. Bon alors les filles, on reprend. On est 4, on est arrivées dimanche soir, on repart demain et je veux la note, LA NOTE, understand? Sara répète encore et encore, imperturbable et je crois qu'on y est ou en tout cas pas loin. Ma copine vient de me mettre dans les mains une dizaine de petits papiers; et j'en fais quoi? Même Sara a du mal à s'y retrouver. Finalement j'arrive à comprendre qu'il y a les chambres, les petits déje, 2 repas que nous avons pris et ce que Sara appelle "le dîner de ce soir", traduire leur pinard, les bières et mon yaourt, mais ça n'est pas tous les jours la fête de l’indépendance, alors ok pour "le dîner de ce soir".
En pratique et au total, je dois payer 724 000 tougriks soit 289,60 euros. Le distributeur n'est pas loin, mais il fait nuit et je ne veux pas y aller seule. Mais Sara a déjà tout organisé et chargé Nara de m'accompagner, ce qu'il fait très gentiment. Je retire 750 000 pour faire un compte rond et je mets tout dans mon sac. J'attends d'être à l'hôtel pour recompter, le compte est bon et je paye ma copine qui elle-même recompte 3 fois. Dans le détail, je trouve que pour les prestations, les chambres sont chères; pour ma suite du 1er soir que je n'avais pas demandée et où j'ai crevé de froid : 60 000 tougriks la nuit, soit 24 euros et pour ma chambre actuelle, toute petite, 2 lits et où le radiateur chauffe : 40 000 tougriks soit 16 euros la nuit. Le petit déje est à 1,60 euros par personne, je vous laisse juge.

Sophie et Dominique à MDM, promis, je garde toutes les factures pour la compta et je vous mets tout bien au clair avant de vous envoyer ce merdier la semaine prochaine.
Au karaoké, les filles sont déchaînées; micro au taquet, elles ne s'arrêtent jamais, entraînant Nara dans leur assourdissante farandole tandis que ma tête est au bord de l'explosion. Un petit bisou et rendez-vous demain, petit dèje, même lieu, même heure, je veux dire à l'heure car je m'inquiète un peu; le vin aide à dormir et rend le réveil douloureux. Au soir de cette journée de travail et à la veille de notre retour à UB, j'essaye de faire le point. Je crois avoir fait ce que je devais faire, avoir été où je devais être et avoir, au moins partiellement, "sauvé" la mission. Il aurait fallu rester plus longtemps, mais Khisghee et Nara doivent rentrer, je dois rentrer aussi. J'appréhende le retour et les retrouvailles avec Didier, athlète de l’engueulade, mais que le temps a calmé; surtout ne pas pleurer, garder la tête haute. Pourtant je sais que quelque chose est cassé et que c'est un peu tôt pour réparer. Laissons faire le temps, c'est notre meilleur remède pour panser les plaies et ces fissures de l'âme qu'il faudra bien colmater.



Jeudi 27 novembre 
Astronomique bordel dans l'hôtel cette nuit! Les cris font sursauter et les portes qui claquent agressent jusqu'à une heure tardive, retardant le sommeil de ceux qui sont fatigués. Ah oui! la fête de l'indépendance! Peut-être... Je me réveille à 4h, je grelotte; ma doudoune et je me rendors.
Quand je descends à 7h40, noir complet dans le hall. La Mongole "de garde" dort profondément, enroulée dans sa couette. J'allume le néon, pleine poire, elle sursaute, je lui montre l’heure, mais elle est comme anesthésiée, sans réaction aucune. Sara descend l'escalier, demande le petit déjeuner, mais il nous faut, dans l'ordre... ou le désordre peut- être... appeler la responsable de la clé de la salle à manger et la cuisinière et, compte tenu de l'heure, il me semble plus prudent d'annuler ce délicieux petit déjeuner que nous avons payé d'avance et que je demande à me faire rembourser. Nous les laissons faire les comptes, ça peut prendre du temps et Nara nous rejoint dans la chambre des filles pour un petit déjeuner-pique-nique, rapidement organisé. Leur chambre ressemble à un joyeux bordel de lendemain de fête : bouteilles vides de vin rouge et de bière, bocal d'olives entamé, fromage pour croque-monsieur, boîte de thon en conserve, quelques tranches de pain de mie sorties d'on ne sait où et des bonbons au chocolat. L'eau bout déjà dans la bouilloire, elles ont du thé, ça va aller. Khisghee m'impressionne; elle a un bonbon au chocolat dans la bouche, du pain de mie recouvert de thon à l'huile dans une main, le téléphone dans l'autre et elle tchatche, non stop. Je me contente d'un verre de thé et d'un morceau de pain de mie.
Toc toc toc!!! nous sursautons; il est 8h10 et le chauffeur de l'hôpital apparaît. Le pique-nique vite remballé, chacun ferme son sac et nous partons; je récupère en passant 16 000 tougriks, le prix du petit déjeuner. Il fait froid et je me laisse bercer par la musique mongole dans la voiture. Didier n'a pas répondu à mon message d'hier soir, fâché? Sans doute, peut-être, je saurai ce soir. Pas reçu? Je n'y crois pas. Pas le temps? Euh…

Arrivée à l'hôpital, j'ai mal au ventre, le yaourt mongol? Et vlan! la diarrhée, le yaourt mongol. La petite Sauulé a 3 ans et court dans le couloir échappant à sa grand-mère et à l'injection de kétamine. Je la récupère dans un coin de porte et, Bambarouche dans les bras, elle ne résiste pas longtemps; à 8h30, elle dort et les chirurgiens se lavent les mains. Sa main gauche est une boule qu'empêchent de se déplier les cicatrices rétractiles d'une brûlure. Quelques broches, greffes et plasties en z plus tard, nous l'extubons, direction la salle de réveil.







Je fais un dernier tour des patients avec Sara, ils vont tous bien et n'ont pas mal. Le papa d'un enfant, nous propose des boots, ces délicieux ravioli mongols au mouton. Pour moi ça sera non merci, mais Sara se jette dessus, comme si elle n'avait pas mangé depuis 15 jours, et les trouve délicieux, ce dont je ne doute pas un instant même si, ce matin, rien qu'en les regardant, je sens monter la nausée.
Les boots


Sara appelle Saran : bonne nouvelle, le fret est dédouané depuis hier soir et le matériel est dans le service des brûlés. Didier a 2 interventions prévues aujourd'hui et demain, nous opérons une patiente que nous avons vue ici le premier jour. C'est une grave brûlure de la face et du cou, même tableau que celle d'hier matin en plus grave, que Khisghee n'a pas voulu opérer seule ici et qu'elle a envoyée à UB pour l'opérer avec Didier. Elle est arrivée hier soir â l'hôpital, après 48 h de voyage en bus...
Je range ce qui me reste de matériel dans le sac où Didier a mis ce qu'il a envoyé aux chirurgiens par l'avion, je me change et je rejoins tout le monde dans le bureau et là, je les découvre tous attablés devant un plat de boots! La directrice de l'hôpital vient nous remercier et nous faire un cadeau, très mongol le cadeau, le genre nid à poussière qu'on offre aux gens qu'on n'aime pas, tu vois l'genre, Delphine? Mais comme je suis bien élevée, je m'extasie sur l'objet et surtout je la remercie à mon tour de leur superbe accueil et de leur gentillesse exceptionnelle. Arrive la famille de la petite de ce matin, les bras chargés de cadeaux pour aussi me remercier. Il y a 2 bouteilles de plastique de jus d'arbousier tiède que je sais d'emblée être incapable d'avaler compte tenu de l'odeur quand j'ouvre la bouteille, mais Sara vient déjà de s'en servir un verre, il y a aussi une bouteille d'eau minérale, une boîte de chocolats et, cadeau suprême, un sac de plastique avec 1 bon kilo de morceaux de mouton encore chauds!!! Je réfléchis vite sur l'attitude à adopter pour ne faire de peine à personne tandis que je sens mon estomac monter et descendre au rythme des montagnes russes d'une fête foraine. Bayershla, bayershla, merci, merci et dès qu'ils sont partis je pose sur la table mon paquet cadeau sur lequel des mains fondent de partout.




Le chauffeur récupère nos passeports, nos billets et nos bagages pour l'enregistrement et la directrice nous emmène dans sa voiture pour un lieu que je n'arrive pas à identifier. Je comprends en arrivant que nous sommes invités au restaurant par le Gouverneur de la région. Autour de cette grande table ronde, nous sommes donc tous les quatre, avec le chirurgien chef de service, la directrice de l'hôpital, le Gouverneur, le Vice Gouverneur et la Directrice des affaires étrangères. Repas plantureux auquel je ne fais pas honneur car j'ai une gastro - le yaourt mongol? - mais ils ont eu la délicate attention de me faire une assiette à part avec du riz et des petits légumes; je grignote.
Remerciements habituels : nous venons de loin pour aider le peuple mongol, nous apportons du matériel et des techniques et ils espèrent que nous reviendrons l'an prochain. Je m'excuse pour le matériel qui n'a pas pu être dédouané à temps et comme ils insistent sur l'importance du dit matériel car tout est très cher et l'hôpital n'a pas d'argent, je propose de voir avec Didier si nous pouvons partager le fret arrivé chez les brûlés à UB pour en envoyer une partie ici. Je n'oublie pas, quand même, que tout ce fret leur était bien initialement destiné. A négocier ce soir. Mes trois complices mongols m'épatent encore; ils ont passé une partie de la matinée à manger et ils recommencent! Sara cale la 1ère, mais Khisghee et Nara tiennent la corde et franchissent, en vainqueur, la ligne d'arrivée, repus je veux croire. Le Gouverneur se lève et reprend les remerciements officiels en nous offrant, au nom de la province, de nouveaux cadeaux : un stylo, un grand agenda et un livre de photos de Mongolie pour chacun. Je me lève à mon tour, je remercie à mon tour, aussi je surveille l'heure car je me vois bien appeler Didier pour lui dire que... nous avons raté l'avion!!! 
Cadeau à la mode mongole


Retour du chauffeur, départ pour l'aéroport et dans le petit hall de ce petit aéroport du bout du monde, une équipe de télévision et une radio locales nous attendent. Petite interview, Sara traduit, je parle de MDM, des petits brûlés, du matériel que nous apportons sans m'étendre sur les détails de cette mission foirée. C'est de MDM qu'il est important de parler. En attendant l'avion, nous discutons du programme des 2 jours à venir et Khisghee m'annonce qu'il y a demain et après-demain, à UB, le congrès annuel des chirurgiens auquel elle fait une communication, et qu'aucune intervention ne peut donc avoir lieu pendant ces 2 jours. Attends, Khisghee, tu déconnes! Tu te souviens de la patiente à qui tu as demandé d'aller à UB pour l'opérer avec Didier et qui vient de se taper 48 h de bus avec ce froid ? J'hallucine complet, plus rien à dire; au rythme quotidien des informations et désinformations qui se succèdent, je n'arrive plus du tout à suivre et mon découragement est, au niveau de ma fatigue, intense. Si je dois glander 2 jours à UB pour attendre le retour, sans bosser, je vais vraiment péter un câble ... et je sens monter des envies de suicide... de meurtre plutôt…

Vent glacial sur le tarmac, nous courons tous jusqu'à l'avion qui décolle avec 30' de retard, on a l'habitude. Mais en altitude, le vent est très fort et nous sommes 45 passagers dans ce petit fétu de paille qui tangue au gré des rafales. Je n'ai pas peur en avion mais là, pendant une bonne dizaine de minutes, je me dis que nous ne sommes pas grand chose. Et le calme revient, fin du vol sans problème. Le mari de Khisghee nous attend à l'arrivée à UB, avec son fils et sa fille de 18 mois. Nara rentre seul. Ils me déposent à l'hôtel où sont les Pieds Nickelés, mais Sara me largue dans le hall et je suis un peu désemparée. Chambre 304 ok, mais où sont les copains ? Bon, d'abord déposer mes sacs dans la chambre, ensuite tenter de trouver une connexion wifi et envoyer un message à Didier, enfin essayer de trouver quelqu'un qui baragouine 3 mots d'Anglais. Bagages dans la chambre, c'est bon, connexion wifi possible mais je n'ai pas de code, je redescends à la réception avec mon iPad pour qu'il comprenne, c'est un peu compliqué mais j'y arrive, message à Didier envoyé, pas de réponse, normal. Pour le mec qui parle Anglais, ça se corse, le Mongol de l'accueil ne comprend rien de rien du tout et c'est un dialogue de sourds. Et c'est en voyant son ordinateur allumé que j'ai une idée ... de génie … oui, de génie... je regarde la liste des chambres et de leurs occupants, que des noms mongols mais en faisant défiler - le mec de la réception est cloué sur place, alors que je suis à côté de lui, du mauvais côté du comptoir et que je joue avec sa souris - je découvre sur 4 lignes Saran, Saran, Saran, Saran. Si c'est elle qui a fait les réservations, c'est que les Pieds Nickelés sont dans ces chambres. Je prends le téléphone du réceptionniste momifié, j'appelle la 1ère chambre et je tombe sur Florence, youpi!!! Ils ont les chambres voisines de la mienne et je monte les rejoindre. Leur accueil me fait vraiment plaisir car j'avais très peur de me sentir exclue de l'équipe en débarquant ce soir. En fait, pas du tout, les filles sont super contentes de me voir, avides de savoir ce que j'ai fait là-bas, déprimées à fond de ne rien faire ici. 
Didier sort de sa chambre, gentil, un peu gêné, minimisant les faits pour se donner une stature, celle du chef. Nous nous asseyons par terre sur le palier pour nous raconter "l'incident" de Séoul. C'est surtout Cécile qui me raconte ce que j'imagine très bien, Didier le chef et tout le monde qui suit derrière. Aucun d'entre eux n'a regardé son billet d'avion ni le numéro du vol. Cécile me dit qu'à plusieurs reprises elle a dit à Didier qu'elle était inquiète que je ne sois pas avec eux et qu'elle voulait remonter voir dans les fauteuils où je dormais. Didier lui a dit que j'étais indépendante et que je les retrouverais à l'embarquement... sauf que... Quand ils se sont aperçus de l'erreur, Didier a engueulé la terre entière, ces abrutis de la Korean, ces cons de l'aéroport, je vois d'ici le spectacle, et a rassuré son équipe : - "on va prendre le vol suivant, ça n'est pas grave" sauf que... Pas de place sur le vol suivant ni le lendemain et tout le bordel ensuite. Finalement, ils ont récupéré leurs bagages, se sont installés dans une guest house à Séoul - "c'était super!" et ont fait du tourisme pendant 2 jours. A l'arrivée à UB, une seule place sur le vol pour Khovd; Cécile voulait venir me rejoindre mais Didier les a réunis pour le verdict final : - "Je suis le chef de mission et j'ai décidé que j'annulais la mission sur Khovd. Anne-Marie est partie bille en tête et nous n'avons plus d'anesthésiste dans l'équipe". La suite vous la connaissez, il était, m'a dit Cécile, furieux contre moi, il m'a appelé pour m'engueuler et depuis ils glandent. Version Didier : "on fait des consultations, on a opéré, on a fait une greffe de peau", version Cécile et Florence, les 2 filles chirurgiens : "on s'emmerde toute la journée, on s'est habillées une fois pour regarder les Mongols opérer, on se promène, on fait du shopping, on bouffe au resto et on en a ras le bol". Antoine, le kiné, bosse un peu, Julie, l'infirmière qui se demande ce qu'elle fait là, reste avec Antoine pour apprendre à faire des attelles.

Voilà en résumé la mission à UB, le foirage complet. Si Cécile était venue me rejoindre, nous aurions pu travailler jusqu'à samedi matin, comme prévu mais... Si je suis rentrée ce soir, c'est uniquement parce que Khisghee et Nara rentrant, je n'avais plus de chirurgien avec qui bosser.
Pour demain, c'est le bordel. La patiente envoyée par Khisghee est bien arrivée mais il semblerait qu'elle n'ait pas été hospitalisée par manque de place et on ne sait pas où elle est. Donc le plan, c'est : on va à l'hôpital vers 9h et on voit si on peut bosser. Concernant Khovd :
-"Anne-Marie, on se cale maintenant une date en mars pour la prochaine mission", il est génial le chef, mais là, maintenant, tout de suite, j'ai la migraine et je suis fatiguée et puis en mars, je serai peut-être à Kabul, alors Khovd…


Vendredi 28 novembre 
Difficultés à m'endormir hier soir, j'ai l'impression de n'avoir toujours pas intégré le décalage horaire, mais très bonne nuit sur un bon matelas et un oreiller sans noyaux. Bonheur simple d'une nuit de 6h, au chaud. J'ai presque honte d'être dans cet hôtel, le "New West Hôtel". Le rendez-vous au petit déje est prévu à 8h mais à 8h, barko petit déjeuner, on est bien en Mongolie. Je réveille le Mongol de garde, ça je sais bien faire, je lui montre l'heure, il intègre vite et tambourine à la porte du restaurant qui s'ouvre sur une jeune femme mongole, ravissante, mais pas du tout opérationnelle. Alors on y go, tu speak English? Non, ok, mais tu comprends tsé, le thé, talkh, le pain et maas, le beurre? Alors on est sauvé, en place pour le quadrille. Antoine arrive, détendu, souriant, très gentil cet Antoine, kiné proche de la retraite, que je ne connais pas encore. 1ère assiette avec des œufs frits, tu repars avec, 2ème assiette avec bacon et oeufs frits, tu la donnes à Antoine et moi tu me donnes juste pain-beurre et t'as même de la confiture? Je suis comblée, mais quel combat! Les filles arrivent, tout est déjà sur la table.

9h : Départ à l'hôpital, une quinzaine de minutes à pied dans ce petit matin frisquet où le ciel n'arrive pas à devenir bleu, embrumé par cet énorme panache de fumée noire que crache cette gigantesque cheminée, toute proche de nous. Je retrouve avec plaisir l'hôpital de traumato, même si je crains le pire pour cette journée. Et le pire arrive avec Nara qui nous annonce que barko patients, barko bloc opératoire, barko chirurgiens, barko tout, aujourd'hui et demain. Radio hôpital fonctionne bien; en 10', toutes les infirmières que je connais sont là en criant Anna, me serrent dans leurs bras, m'embrassent. L'une d'elle me soulève et je décolle du sol dans un éclat de rire général. Comme c'est bon de les retrouver comme si je les avais quittées hier. J'avais l'habitude de leur porter des gâteaux et surtout des bijoux, mais je n'ai rien, je n'avais pas prévu d'être là.
Pour ne pas déprimer, je décide d'occuper ma journée, au mieux... enfin, au moins mal. Didier m'aide à faire des cartons de matériel pour Khvod et nous remplissons 2 gros cartons pour les anesthésistes et les chirurgiens que Didier va emporter à l'hôtel parce que sûr, ici, on va tout se faire piquer. Ils ont déjà taxé presque tout le fret, nous venons d'en sauver une petite partie. Antoine et Julie sont déjà partis dans le service de kiné. Cécile et Florence ont besoin d'un psychiatre, totalement dépitées. Elles repartent avec Didier porter nos cartons, en sécurité, à l'hôtel et vont aller se promener... et faire chauffer leur carte bleue... Je confie à Cécile le soin d'acheter le cadeau le moins moche possible pour Dominique, la bénévole de l'Opération Sourire à MDM qui m'a demandé de lui rapporter un élément décoratif pour son bureau. Je l'ai prévenue que ça serait kitsch et moche, que ça serait mongol, quoi.


Sara arrive avec une jeune anesthésiste qui a entendu parler de moi par Tsetsgee, la toute première anesthésiste avec qui j'ai travaillé longtemps à l'hôpital des brûlés, au début de la mission Mongolie et qui est à la retraite maintenant. Elle veut me faire visiter le service de réanimation et nous y partons avec Didier. Ce service a été équipé avec du matériel français, grâce à des budgets de l'Ambassade de France et il y a 4 patients sous assistance respiratoire. Je suis impressionnée par les progrès réalisés.
Comme je n'imagine pas faire du tourisme toute le journée, je décide de rester avec les kinés et Sara. Saran, l'autre interprète, est aux abonnés absents; Cécile est très en colère après elle et me dit qu'elle se l'est vraiment coulée douce cette semaine, arrivant à midi, traînant les pieds pour traduire, pas du tout motivée. Ceci n'est pas mon problème; j'ai moi très bien travaillé avec Sara à Khovd; c'est à Didier de régler les comptes avec les interprètes si elles ne font pas correctement leur travail. 

Dans le service de physiothérapie, il y a de quoi s'occuper. Antoine fait des attelles, explique à Julie qui s'applique à l'aider, donne des conseils aux parents; il est parfait. Nous rentrons à l'hôtel à 15 h après une bien petite journée. Didier arrive lui aussi d'une balade avec les filles, frigorifié. C'est vrai qu'il fait très froid et que le vent est glacial. Il a laissé les filles faire des courses au "magasin d'Etat". Pour ne pas perdre mon après-midi, je commence mon rapport de mission; j'ai un planning blindé à la clinique la semaine prochaine et je n'aurai pas le temps.

19h : rendez-vous dans le hall de l'hôtel avec Sara et Saran, nos interprètes, pour un dîner en ville. Nous avons aussi invité Khishgee et Nara, ainsi que le médecin et l'infirmière du service de physiothérapie.
Dîner sans surprise, oserais-je écrire sans intérêt? Je rentre avec Julie qui est mal foutue, j'éponge, moi, toujours, les séquelles du yaourt mongol. Les autres sont partis écluser de la vodka dans une boîte branchée. Demain il va falloir occuper la troupe puisque nous sommes interdits d'hôpital. Nous allons dans la steppe, chez les parents de Khisghee qui ont un centre de cure thermale à environ 2h de voiture d'UB. Nous y avons déjà été un hiver sous la neige et les paysages étaient somptueux. J'aurais préférer rentrer en France mais le changement des billets d'avion est hors de prix, alors... va pour la steppe ! Mais pour moi, la mission s'est terminée hier soir au retour de Khovd, le reste …



Samedi 29 novembre

Journée de break obligatoire et balade imposée vers la steppe. Je me force à sourire, le cœur n'y est pas. Départ prévu 9h30, hall de l'hôtel; à 9h50, Florence et Cécile, sont encore attablées devant un solide petit déjeuner et ça me gave vraiment, d'autant que Saran et Khisghee viennent d'arriver et commandent des œufs et tout ce qui va avec. Finalement, je crois que je suis contente de ne pas avoir eu à bosser avec elles; elles sont toujours en retard et je ne me sens pas au la du même diapason qu'elles. Le reste de l'équipe attend patiemment…

Je demande à Saran si elle a retrouvé la patiente de Khovd qu'on devait opérer hier avec Didier. Oui, elle l'a retrouvée et voici en résumé son histoire : consultation à Khvod lundi après-midi, Khisghee lui promet qu'elle sera opérée vendredi; elle part lundi soir, fait 48h de bus, arrive dans le service des brûlés d'UB où Didier la voit jeudi matin et programme l'intervention pour le lendemain; jusque là, pas de lézard. Mais on est en Mongolie... et Gala, le jeune et nouveau chef de service, fait sa tête de mule et refuse de l'hospitaliser! Elle ne sera pas opérée ni par Didier, ni par Khisghee, ni par personne parce que tout le monde s'en fout et que barko bloc, barko chirurgien, et vous vous souvenez du refrain? Alors jeudi soir, elle reprend le bus pour un nouveau voyage de 48h vers Khovd mais, me dit Saran, ne t'inquiète pas, l'an prochain quand tu reviendras à Khovd, on la mettra la 1ère sur le programme opératoire ! Arrête Saran, ce qui s'est passé est injuste, dégueulasse, révoltant, décourageant, irrespectueux et j'en ai vraiment marre de vos conneries, de ce je m'en foutisme et de la manière honteuse dont cette patiente a été traitée.

On part tard, normal, le petit déjeuner, les œufs frits ...Khishgee dans son gros 4x4 conduit comme une cinglée, Saran dans son petit 4x4 roule à 30 à l'heure, l'oreille collée au téléphone, non stop. Au 5ème coup de volant un peu brusque, je lui demande de raccrocher le téléphone en lui expliquant que c'est dangereux, mais elle s'en fout. Sauf que, même si cela reste rare, 90% des humanitaires qui meurent en mission sont tués dans un accident de la route... et je n'ai pas forcément envie de rallonger la liste… Et comme elle ne connaît pas la route, elle part au gré du vent, au gré du temps et on se perd. Khisghee l'appelle, lui explique à quel endroit elle nous attend ; demi-tour et on se rallonge de 10 km; on a pris la route qui part vers la Chine! Ballotée par les chaos de la piste, le dos en vrac et une sciatique en bonus, je ferme les yeux et je me demande vraiment ce que je fous là, juste pour passer le temps, occuper la journée. Ça n'est que 2h30 plus tard que nous arrivons au sanatorium dont la maman de Khisghee est directrice.
Chez la Maman de Khishghee
Les curistes boivent de l'eau ferrugineuse, censée guérir les mots d'estomac. Et en doublant les doses, ça ne marche pas pour une anesthésiste déprimée??? Ceci étant, merci, Khisghee, pour cette journée, c'est mieux que d'être resté à l'hôtel. Nous partageons le repas des curistes et je ne m'étonne pas qu'ils soient tous obèses en voyant le menu : pain, soupe de mouton aux pâtes et re mouton avec riz et légumes, mmmmmmmhhhhhhh!!!!!!! DÉ LI CIEUX!!!!! La maman de Khishgee nous accueille ensuite chez elle, nous offre un café et débouche une bouteille de vin rouge ! Je demande à Saran de ne pas trop forcer sur le pinard parce qu'elle conduit et que, même si cela reste rare, 90% des humanitaires... Retour sains et saufs à l'hôtel à 18h.

Cette fois c'est vraiment la fin de la mission. C'est la première fois que je suis aussi contente de rentrer, sans aucun regret de quitter cette équipe avec qui je n'ai pas du tout travaillé. J'ai commandé les taxis pour demain 5h, Julie insiste pour partir avec moi, elle a peur que continue l'organisation merdique de la semaine; c'est la seule, avec Antoine, toujours à l'heure et elle est hyper déçue et très mal à l'aise, pour une première mission, de ces "drôles de vacances" aux frais de MDM. Demain nous volerons vers Paris, long voyage de retour vers la réalité d'un quotidien tout autre où il va falloir vite reprendre ses marques et refermer la parenthèse. Retour à Khovd? On verra, Didier, bientôt, peut-être ... Laisse moi du temps…