vendredi 16 novembre 2012

Aéroport de Kaboul jeudi 15 novembre 2012



Et voilà, dernier jour de mission, dernier soleil sur les montagnes de Kaboul,
dernière matinée au bloc, dernier repas à la cantine. Bon, j'arrête de m'attendrir, dernier rien puisque je reviendrai pour un nouveau premier jour de mission, premier soleil, première matinée au bloc...

... Au bloc où ça commence très fort : arrêt cardiaque à l'induction chez un petit de 6 mois dans la salle à côté de la mienne, récupéré au bout d'une dizaine de très longues, trop longues minutes. Intervention annulée, surveillance en recovery, réveil du bébé au bout de 20 minutes et extubation. Rassoul est optimiste, mais nul n'est sûr aujourd'hui qu'il n'aura pas de séquelles. Si l'on reprend l'histoire, c'est une accumulation d'erreurs qui a conduit au drame : atropine non prête, impérative avant toute anesthésie, aspiration non vérifiée et non fonctionnelle, idem que pour l'atropine donc check list non conforme - même combat en anesthésie qu'avant le décollage d'un avion - intubation difficile, et le jeune anesthésiste qui insiste, intube dans l'estomac et ne passe pas la main, vomissements de l'enfant probablement non à jeun... Problème de l'éducation des parents... Au total un accident d'anesthésie grave qui n'aurait pas dû arriver et dont Rassoul doit débriefer avec tout le staff pour que cela ne se renouvelle jamais. Ce qui m'interpelle, c'est qu'aucun des acteurs présents ne semble affecté, d'où debriefing impératif aujourd'hui même, Rassoul est d’accord.

Arrivée d'un journaliste qui veut faire une interview pour le Journal du Dimanche. Quelques photos au bloc et nous descendons discuter un moment à la guest house. Je ne suis pas sûre que l'article en lui-même ait un intérêt majeur en dehors, et cela est essentiel, de parler de l'action formidable de La Chaîne de l'Espoir à Kaboul et des progrès immenses accomplis, à tous les niveaux, depuis l'ouverture du F.M.I.C.
On lira, on verra...

À 13h, je quitte le bloc en écourtant les adieux et Rassoul m'embrasse en me remerciant, étonnant Rassoul. Dernier repas à la cantine avec mes amis afghans, à la guest house bisous à Alexander et à Najib, je boucle mon sac qui est vide en dehors des raisins, des noix et des amandes que les uns et les autres m'ont offerts. Je dois être à 14h au rendez-vous pour le départ à l'aéroport.
Effectivement à 14h, le garde, mon sac et le chauffeur, sourire édenté dans un visage buriné. Nous quittons le FMIC. Pour éviter les innombrables embouteillages, il se croit obligé de prendre des raccourcis défoncés; j'ai le dos explosé en arrivant à l'aéroport. Contrôles de sécurité obligés, on a l'habitude. À trois reprises, je descends du 4x4 pour la fouille réglementaire, globalement sans agressivité en dehors d'une grosse qui aboie parce qu'elle fait la sieste et que je la réveille. Laissons-la aboyer et se recoucher. Plus de deux heures d'attente avant que ne débute l'enregistrement sur le vol FlyDubai; je suis la seule femme, voilée bien sûr, et les hommes commencent à s'asseoir par terre ou à faire leur prière. Ils commencent aussi à s'énerver, à crier, à se bousculer, et à me bousculer dans cette queue où je suis un peu comprimée au milieu de valises énormes et de ballots démesurés. Je protège tant bien que mal le cerf-volant offert par M. Din, enveloppé dans un carton sale. Mais pour qui se prend ce géant à longue barbe et au turban noir qui passe devant tout le monde et me regarde méchamment ? C'est moi qui baisse les yeux la première. Et ce crâneur qui joue à l'homme d'affaires pressé, iPhone dans une main, attaché case dans l'autre, me marche sur les pieds because flyDubai... Et nous tous, connard, tu crois qu'on joue à la marelle ?




Décollage dans une heure. Comme d'hab, j'ai le blues, comme d'hab, je n'ai pas envie de rentrer. Je vais voler de nouveau vers un quotidien qui décale. Comment refaire demain de la chirurgie esthétique ? Comment expliquer ? Comment raconter ? Comment partager ?
Mais je sais la chance qui m'est donnée de pouvoir venir ici et je suis heureuse et fière de la confiance qui m'est accordée pour cette mission afghane. Je laisse ici des amis, des enfants endormis, des enfants blottis dans mes bras, je laisse ici un petit peu de mon cœur et je laisse aussi la promesse de revenir bientôt.

Il fait nuit... Lumières de Kaboul comme autant de bougies... Flammes incertaines qui vacillent dans la brume qui se lève... J'ai envie de pleurer, c'est con, hein ? Dans ma tête déjà les souvenirs s'estompent et ne seront bientôt que des souvenirs de souvenirs. Je ferme les yeux pour mieux fixer l'instant, je vole, je vole...


Merci d'avoir partagé avec moi ce voyage en Afghanistan et d'avoir offert un peu de tendresse aux enfants de Kaboul, cette tendresse sans laquelle ils ne sauront pas grandir.

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