vendredi 9 novembre 2012

Kaboul jeudi 8 novembre 2012



Bonne nuit, personne ne frappe à ma porte, je récupère et ce matin, contrairement aux prévisions du cuisinier, le soleil brille toujours. Au petit déje, j'apprends une nouvelle étonnante. Il y a six mois, une infirmière française venue en longue mission, s'est convertie à la religion musulmane pour épouser un chirurgien de l'hôpital Indira Gandhi, déjà marié et père de sept enfants. Elle vit aujourd'hui cloîtrée dans une maison de Kaboul, n'a pas le droit de sortir et ne peut voir personne. J'en ai des frissons en pensant à ses parents. Depuis cet... incident... La Chaîne de l'Espoir a décidé de faire passer un entretien psychologique aux expatriés qui partent en mission longue durée. 

Au bloc, lourd programme, 17 enfants. Arrivée d'Abdullah; y a comme un froid avec Rassoul qui ne lui dit rien. Abdullah me prend par le bras et m'emmène dans un bureau. Il s'excuse de ne pas être venu la nuit et me raconte une histoire embrouillée de sa sœur malade, de son père qui a exigé qu'il la soigne, de sa religion qui demande que l'on s'occupe d'abord de sa famille en délaissant son travail parce que inch Allah, patin couffin et moi j'y comprends rien... et qu'il veut rester mon ami et que je peux aller me reposer à la guest house. Je lui dis qu'il n'y a rien de grave et que l'incident est déjà clos. Je vous rassure, sa sœur est guérie, son père est calmé, la religion est respectée, je demande à Rassoul de ne plus en parler, la vie peut continuer.

Elle continue d'ailleurs à vive allure et les enfants défilent au bloc pour un programme quelque peu surchargé. Ce matin Rassoul ne me fait pas changer de salle et je reste avec Waheed, l'un des infirmiers anesth. C'est mieux. Le troisième enfant que nous endormons est un petit garçon de 8 ans porteur d'un kyste hydatique pulmonaire. Thoracotomie pour excision. Même pas peur à l'induction, mais ça devient chaud, même très chaud et même TRÈS TRÈS chaud à l'incision du kyste d'où gicle un pus épais dégueulasse et là oui, un peu peur. Ceinture et bretelles, parachute au cas où, on atterrit finalement en douceur et l'enfant est transféré en ICU. Au plus fort du stress, Waheed me fait remarquer que Rassoul n'a pas montré le bout de son nez. Alors, hasard ou acte manqué ? Allez, soyons sympa, bénéfice du doute. Il sort de son bureau et débarque quand tout est terminé. - "ok Mary ? no problem with the patient ?" Alors là je fais quoi ? J'éclate de rire ? Allez, je suis charitable, c'est bien connu. -"Everything’s ok, Rassoul, don’t worry." L'enfant est en réa, il est 14h30, je descends déjeuner avec M. Din. Bon, pour la soupe gluante où flottent ces yeux étranges qui me regardent, ce sera non, merci - quelqu'un veut la recette ? - mais ok pour le riz aux lentilles, le même qu'hier, oui je sais, y a plein d'fer et c'est bon pour moi. Nous parlons de Florence, cette infirmière française mariée à un Afghan; M. Din, qui a travaillé avec elle, confirme l'info et ses conditions de vie, enfermée 24h/24h dans une petite maison, portant le voile, bien sûr, dormant par terre sur un tapis, n'ayant le droit de communiquer avec personne, mariée à un Pachtoun, intégriste à la longue barbe et devant s'occuper de belle maman handicapée. Elle est pas belle, la vie ?  Il pense qu'elle était déprimée car célibataire à 36 ans, anorexique mentale grave qui plus est. Donc, avis aux célibataires déprimées, avec ou sans anorexie, y a ici des Pachtouns qu'ont un bon plan pour vous, on va créer un club de rencontres.

Retour au bloc pour la fin du programme d'orthopédie et c'est de nouveau un jeune barbu et moustachu qui nous dit qu'il a 14 ans. Tout le monde fait semblant de le croire et Rassoul me dit en riant : - " This is Afghan 14 years." Finalement ça tourne bien et, à 17h,
le programme est bouclé. Je vais en réa voir tous mes petits opérés qui vont bien et c'est aussi cela le bonheur.

Et ce soir, c'est encore la fête. Nouvelle invitation à dîner par le directeur administratif Pakistanais de l'hôpital. Il nous emmène au Jardin de Taimani, un restaurant français ouvert récemment à Kaboul et tenu par une  Franco Afghane, nièce d'un ministre d'Amin Karzai et mariée à un Afghan. Alexander connaît ce resto, très bon mais très cher. On s'en fout, c'est l'Pakistan qu'invite. 4x4 et chauffeur du directeur, voile sur la tête, on embarque pour une soirée vraiment très agréable, dans un cadre magnifique, avec un grand jardin de roses où l'on mange en été. Fouille à l'entrée. - " no gun ? - no gun". J'ai la tronche à avoir un pistolet planqué dans mon sous-tif ? Ok, on est à Kaboul, alors, fouille mon gars. Délicieux repas végétarien pour moi; les garçons boivent du vin servi dans une théière et versé dans des tasses à thé, histoire de tromper l'ennemi. Une idée pour vos prochains repas entre amis. - "Vous prendrez bien une tasse de thé ?" Détail de l'histoire, Alexander me fait remarquer que la rue de ce restaurant est l'une des rares goudronnées à Kaboul. Why ? Because Amin Karzai, of course ! Qui vient de dire qu'il y avait de la corruption à Kaboul ?

Demain c'est vendredi, on est en congé, youpi ! Au programme, grasse mat, enfin, essai de grasse mat, petit déje dehors sur la pelouse, film sur l'iPad et, dans l'après-midi, avec Alexander, visite de la maison de Kate et ce sera sans doute tout. Nous n'avons pas le droit de marcher dans les rues de Kaboul because security. Quand nous nous déplaçons, au restaurant par exemple, le chauffeur nous dépose devant la porte et nous récupère devant cette même porte. Acceptons-en les règles, nous sommes à Kaboul.

Agnès et Jean-Michel qui sont venus avec moi, repartent demain. Ils ont visité, rencontré, calculé, évalué, photographié, écrit, envoyé des statistiques, des rapports, des idées, des projets, que des trucs chiants, mais importants pour la mise en route du projet mère-enfant. Moi, vraiment, je préfère rester l'anesthésiste de base qui monte au charbon que de faire ce travail d'évaluation dont je suis, de toute façon, bien incapable. 

Retour du restaurant, je remonte en réa voir le dernier petit opéré du thorax; je veux être sûre qu'il n'a pas mal. Tableau habituel de cette grande salle bruyante étincelant de mille strass pour éclairer ces enfants comme autant d'étoiles qui brillent dans un firmament de misère. Quel décalage entre cette technologie de pointe et leur quotidien derrière les murs de l'hôpital, cortège inexorable de cauchemar et d'exil! Alors, dans la hiérarchie du pire, tentons juste de leur offrir ponctuellement le meilleur.

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