vendredi 6 avril 2012

Bangladesh samedi 24 mars 2012



samedi 24 mars 2012    20 h heure locale : Paris + 5 heures

Premier jour de mission, après un voyage long et fatigant. Départ de Pau par le 1er avion hier matin vendredi.  Je quitte Philippe que je retrouverai seulement en octobre puisqu'il part, lui, dans une semaine, pour sa traversée, seul et à pied, des USA,  du Mexique au Canada, drôle de challenge ...
Attente habituelle à Roissy, aéroport pourri où il ne fait vraiment pas bon vivre et embarquement pour un vol de 7 h vers Dubaï, à bord d'un Airbus 380 d'Emirates, partenaire d'HumaniTerra, qui offre les billets d'avion pour les missions. Au milieu du vol, l'équipage fait une annonce en arabe d'abord, puis en anglais et en français pour demander un médecin; je suis la seule à bouger. Une jeune fille, allergique à l'ananas, vient de boire un verre de jus du dit ananas et commence à sentir une petite gêne dans la gorge. La chef de cabine a contacté, par radio, un médecin de la compagnie, au sol,  qui a demandé de lui donner un antihistaminique et d'appeler un médecin à bord pour faire une injection d'adrénaline en cas d'aggravation. Alors ça y est je tourne un film, y a-t-il un pilote dans l'avion ? Euh .... Un médecin dans l'avion ? Ben oui, y a moi mais je n'aurai pas à intervenir, heureusement.

Arrivée à Dubaï, aéroport que je commence à bien connaître pour y avoir fait souvent escale et embarquement pour Dacca avec le reste de l'équipe qui vient de débarquer du vol de Paris. Didier, dont le coiffeur est en grève illimitée, vient d'aller faire le plein de pinard au Duty Free; suivent Olivia, l'infirmière, puéricultrice en réa pédiatrique à l'hôpital de la Timone à Marseille  et Luc, le kiné qui bosse en privé. C'est marrant, mais on a  l'impression de déjà  se connaître et le courant circule tout de suite très bien. L'avion n'est pas plein et je réussis à m'allonger et à dormir un peu, en délaissant le délicieux plateau que l'on vient de me porter au milieu de la nuit, qui porte le nom de breakfast et qui sent le graillon dans tout le firmament.
À Dacca, c'est le même membre de Friendship qu'en octobre qui nous accueille. Il nous annonce que les bagages vont partir par voiture et arriveront dans la nuit because le poids dans l'hydravion. In extremis, chacun d'entre nous sauve sa trousse de toilette en plongeant dans les sacs blindés de matériel et de médicaments.
Avec notre équipe, partent, en effet, la fondatrice de Friendship, Runa, accompagnée de son fils de 14 ans et d'un ancien ambassadeur européen au Bangladesh, actuellement à la retraite, qu'elle essaye de taxer pour son ONG. Ceci étant, c'est une femme exceptionnelle, très jolie, très élégante, riche et d'un milieu aisé, qui a investi sa fortune pour créer Friendship et bat ciel et terre, de l'Europe à l'Orient et aux USA, pour trouver des fonds. C'est elle qui a mis en place ce concept de bateau-hôpital qui va à la rencontre des plus pauvres et elle étend les ailes de sa fondation à la formation des professionnels de santé, infirmières, médecins, paramedics, au planning familial, à l'éducation des enfants avec la création d'écoles qui quadrillent le Bangladesh, à des fabriques de vêtements en coton local.  Elle travaille, nous dit-elle, en partenariat avec le gouvernement, sans friction, ce dont je ne suis pas tout à fait sûre. Ce qui est certain, c'est qu'elle abat un boulot formidable dont nous constituons un petit, tout petit rouage.





Le vol en hydravion dure presque une heure, par un temps chaud et brumeux, 35 degrés que l'on supporte assez facilement. L'humidité me semble beaucoup moins intense qu'en octobre dernier. Curieusement, le survol de la péniche et l'amerrissage ne créent pas l'émotion attendue. Le pilote est moins bon que celui de la dernière mission et il se pose au milieu du fleuve, loin, trop loin de ces bras multicolores qui s'agitent pour nous accueillir. La barcasse à moteur vient nous chercher mais Barberousse, the captain, nous attend à bord avec l'équipe qui repart, mission de chirurgie gynéco. On débarque, ils embarquent, l'oiseau blanc redécolle rapidement et les enfants courent pour ne pas perdre une miette du spectacle.











La péniche est amarrée plus au nord qu'en octobre, tout en haut du Brahmapoutre, presqu'à la frontière indienne et l'île de sable blanc ressemble à un désert d'où sont sortis les baraquements au toit de tôle, l'hôpital de la plage.
Il paraît que là-bas, là où le regard ne porte pas, il y a un village et une école et nous décidons, mercredi matin, de prendre un break pour aller à la rencontre des habitants. Didier est ok; le programme, ce jour là, ne débutera que vers 11 heures.
Déjeuner fait de poulet, riz, légumes sur le guest boat où s'installent Didier, Olivia et Luc. Je vais dormir sur le bateau-hôpital pour être proche des opérés la nuit. En octobre j'avais la chambre 401!!! Cette fois j'aurai la 403 qui a 2 fenêtres, vue sur la plage d'un côté, sur la mer de l'autre, ouaih, bon sur la rivière boueuse, ok, mais c'est de l'eau  et c'est pareil. Et j'hallucine complet quand je vois le cleaner, faisant fonction de femme de ménage, qui sort un fer à repasser pour mettre à plat le tissu chiffonné qui va faire fonction de drap !






Immense bonheur des retrouvailles avec le staff local; le sourire de chacun en dit long sur le plaisir qu'ils ont à nous revoir; Luc est venu il y a un an, Olivia découvre et savoure. Shahin, Angelina, Celina, l'équipe du bloc, les cuisiniers dont mon copain Johnny, toujours aussi couleur locale, l'équipage ...  ils sont tous là pour nous recevoir. Manque à l'appel Massoud, le médecin gros et gras qui est en formation et je n'ose pas demander si c'est une formation de médecine ou de cuisine... Il est remplacé par un jeune médecin, très gentil, James, qui vit sur le bateau avec sa femme et sa fille d'un an qui fait, devant nous, ses premiers pas.







Nous sommes un peu au radar pour la consultation où défilent plus de 30 patients, petits et grands, plus petits que grands en fait, tristes et apeurés, vêtus pour certains de guenilles témoignant de leur extrême pauvreté. La plupart ont de graves séquelles de brûlures et il y a plusieurs fentes labiales chez des tout petits que je récuse; je ne veux prendre aucun risque pour l'anesthésie. Didier opérera seulement les plus grands avec des fentes labiales simples, sous sédation associée à une bonne anesthésie locale. S'ils bougent d'un poil, je sens, je sais, que je vais me faire engueuler ...
Et, comme je le rêvais, Morzina est de retour; c'est cette jeune femme, grièvement brûlée aux membres inférieurs complètement rétractés, qui ne marche plus depuis 2 ans et que son mari porte, que nous avons opérée en octobre pour déplier la première jambe et qui revient pour que Didier opère la seconde. Elle arrive, dans les bras de son mari et c'est comme si nous avions rendez-vous. Elle n'a pas changé et je retrouve son sourire plein de douceur, ses yeux rieurs et ses bras fins qui me serrent pour me dire juste - " je t'aime".
Fin de la consultation; c'est autour d'un tchaï - thé - que nous faisons le programme de la semaine. J'emmène Olivia "visiter" l'hôpital de la plage et le paquet de bonbons que j'ai apporté, assailli par les petits gourmands, téméraires ou timides, ne résiste pas longtemps. Morzina est assise sur les lattes de bois, sans matelas, tout au fond du hangar; elle m'appelle et me présente sa maman qui, cette fois, l'accompagne avec son adorable petit garçon de 2 ans.


Avec Morzina.




Morzina


Je regagne ma suite pour aller prendre une douche. Même bassine en plastique verte, même pichet rouge au plastique usagé, même eau froide du fleuve qui lave mal les cheveux et fait sursauter en ruisselant sur les épaules, même inondation de la "salle de bain" tandis que l'eau s'écoule difficilement par le petit trou planqué derrière les WC. Rien n'a changé; je suis partie hier, je reviens aujourd'hui et je reprends très vite mes marques. Je n'ai pas de vêtements de rechange puisque les sacs, privés d'hydravion, ont pris la route et arriveront ensuite par bateau mais je suis propre et ça fait du bien.


La nuit est tombée brutalement; je n'ai même pas vu le soleil se coucher ni les ombres s'étirer. Dehors, sur la plage, sous ma fenêtre, les bruits de gamelle rythment le temps en battant la mesure. Je n'entends plus les enfants, ils doivent dormir. Avant d'aller rejoindre les autres pour le dîner sur le guest boat, je vais repasser par l'hôpital pour embrasser Morzina. Et puis je vais essayer de dormir, malgré la chaleur qui persiste, sur ce drap magnifiquement repassé et cet oreiller en béton. Il nous faut être en forme tôt demain matin pour vite ranger le matériel qui sera arrivé dans la nuit et commencer le programme à 8 h.
















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