vendredi 6 avril 2012

Bangladesh dimanche 25 mars 2012



Difficile de m'endormir hier soir à cause du bruit sur le bateau et de l'oreiller bétonné qui casse le cou. Plutôt bonne nuit ensuite.
À 7 h, je change de bateau pour le petit déje où j'arrive la première. À cette heure de la journée, la lumière est belle sur le fleuve et les barques dérivent dans le silence de l'eau qui s'écoule tranquillement, tandis que le soleil se lève paresseusement.
Thé au lait en poudre, pain grillé, confiture de fraises garantie sans un seul gramme de fraise, rien ne manque et je profite de ce moment de calme, partagé avec Olivia qui n'a pas très bien dormi. Je pars au bloc ranger le matériel, les sacs sont bien arrivés dans la soirée.

Didier et Olivia me rejoignent, Luc arrive peu après. Dans la pièce, face au bloc qui n'a pas grandi d'un pouce depuis la dernière mission, chacun range son bazar et c'est un joyeux capharnaüm.
La première petite patiente vient d'arriver. Elle s'appelle Asanou Djaham, elle a 3 ans et sa maman, aussi apeurée qu'elle, la tient dans ses bras. 








Elle a une fente labiale et des séquelles de brûlures rétractiles aux 2 pieds. Nous n'opérerons que le pied droit, le plus atteint. Kétamine dans la fesse, nous faisons sortir la maman pour que je pose son cathéter et fasse le bloc de pied pour qu'elle n'ait pas mal au réveil. Pour ceux qui savent que je  ne sais pas, YES !!!! Je réussis. Au bloc, je l'endors et c'est le dilemme habituel entre pas trop pour éviter l'arrêt respiratoire et pas assez pour éviter de me faire engueuler par Didier. Incision, ok, 10 minutes s'écoulent et le sketch commence - " Elle bouge"; j'opte donc pour la solution numéro 1, je plombe l'anesthésie, la petite fait, comme prévu, un arrêt respiratoire et je la ventile au masque sous les champs. Cette année nous avons un extracteur d'oxygène et je ne suis donc pas limitée quant à l'utilisation.

 Sketch 1, deuxième acte : Didier qui est vraiment en forme, a besoin tout de suite, là, immédiatement et en même temps, de broches pour fixer les orteils qu'il vient de déplier, de xylocaïne adrénalinée et d'une cupule stérile. Les broches d'abord, trop fines, trop longues, trop courtes, je respire à fond et ça se termine tout simplement par de grosses aiguilles roses qui font parfaitement l'affaire sur ces tout petits orteils. La xylo adrénalinée ensuite, je n'arrive pas à la trouver... - "Ça vient ?"  - "Ben... non ça vient pas, je cherche..." La cupule stérile enfin, y en a  pas, because j'ai apporté plein de grandes cupules en plastique mais, sorties du sac à 8 h, elles ne sont pas stériles à 9, - "Tu peux comprendre ou pas ? Parce que moi la cupule non stérile, la xylo et tes broches, je te fous tout dans le fleuve et tu te démerdes." Changement de ton - lui : "J't'aime très fort" – Moi : "On dirait pas". Le calme revient et l'intervention se termine sans autres exigences de mon chirurgien ... préféré ? Non, c'est Delphine et il le sait, elle aussi d'ailleurs...
Il fait froid au bloc avec la clim et c'est une petite fille aux mains et aux pieds gelés que j'installe au réveil avec une grosse peluche. Elle se réveille tranquillement, elle n'a pas mal, le bloc de pied marche, cool.
Asha, 12 ans est une jolie fillette au visage déformé par une fente labiale. Je demande à Angelina de traduire que je vais juste la faire dormir un peu et qu'après l'anesthésie locale qui va être désagréable et douloureuse, tout ira bien. Comme un  courageux petit soldat, elle monte au front avec juste quelques grimaces et l'intervention roule sans  problèmes.


Asha

Le déjeuner nous permet de nous poser, de discuter avec Olivia et Luc qui a fait une super attelle de pied pour Asanou pour qui j'ai gonflé un ballon sur lequel j'ai dessiné un bonhomme aux cheveux longs.  Quand je l'ai laissée au réveil, sous la surveillance de Célina, elle secouait le ballon en riant. Pendant le repas, Johnny, notre fidèle cuisinier, égal à lui même, ne nous quitte pas des yeux et tente d'anticiper nos moindres désirs. Pour le café, il sait, sans nous le redemander, que celui de Didier est avec du lait et sans sucre et le mien, noir mais avec sucre. Il note maintenant la commande de nos deux comparses. Bravo et merci, Johnny.




Retour de la pause repas. Asha dort, Asanou pleure, pas parce qu'elle a mal mais parce qu'elle veut manger une pomme. Nous en avons eu à midi, il doit en rester. Je monte attendrir Johnny et je redescend avec une pomme rouge sur laquelle la petite se jette.

Je sais déjà que l'intervention suivante va être longue et difficile. Mukta, 12 ans, s'est brûlée il y a 4 ans en bas du ventre. Les cicatrices sont tellement rétractiles que son ombilic est descendu sur le pubis et qu'elle ne peut plus écarter les jambes. Olivia la tient pendant la rachi et, pour ne pas qu'elle s'agite. Je la fais dormir pendant les presque 4 heures que dure l'intervention. Je mélange des drogues dans une recette totalement improvisée pour maintenir le cap au mieux, en dansant sur le fil tendu d'une anesthésie casse-gueule d'où il m'est interdit de chuter. Et c'est avec soulagement que je vois Didier commencer le pansement tandis que la rachi commence à se lever. Ouf !!! Sauvée par le gong, il va falloir maintenant jouer serré pour qu'elle n'ait pas mal.


Mukta
Mukta
Mukta en salle de réveil
Le tchai que l'on nous propose est le bienvenu avant d'opérer Maria. Le temps a changé, le ciel est devenu gris, on dirait qu'il va pleuvoir. Là-bas, entre l'horizon et le fleuve, une bande de brume s'est faufilée et ondule telle un serpent.
Maria, 12 ans, nous attend pour libérer les brides qui bloquent l'intérieur de sa main après une brûlure électrique. 


Je la fais somnoler pour piquer son bloc axillaire, elle dort toujours pendant que Didier l'opère, elle se réveille dans son lit, regardant, étonnée, son poignet où j'ai enfilé un bracelet.
Maria

Fin du programme, il est 21h. J'entends Asanou éclater de rire et ça fait du bien.
Il fait noir quand nous sortons; la nuit a déjà englouti le chemin qui mène à demain.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire