vendredi 6 avril 2012

Bangladesh mardi 27 mars 2012



Il y a une invasion de moucherons; ils sont partout, tombent dans les verres et les assiettes, rentrent dans les narines et tournent autour des enfants qui sont grognons. À 22 h hier soir, il faisait plus de 35 degrés en salle de réveil et Mukta a 39. Je lui donne du paracétamol et je fais une distribution générale d'antalgiques pour que tout le monde dorme. Dans ma cellule que j'ai bombée à l'insecticide, les moucherons se sont scratchés sur le lit et sur tout ce qui est posé dessus. Il y a vraiment une invasion de moucherons et ils sont vraiment partout.





J’étais un peu fatiguée hier soir, journée normale pourtant. La douche à l'eau froide avant de dîner ne me remet pas les idées en place et je me tartine le visage avec du dentifrice. Il est vrai que, pour limiter le poids, je n'ai apporté que des échantillons et que....  Qu'est qui ressemble plus à un échantillon qu'un échantillon ?...  Mais quand même. Bon, tant que je ne me mélange pas les pédales avec les drogues anesthésiques, qu'importe l'utilisation que je fais du dentifrice.

Nous mangeons des papayes cuites mélangées à des carottes; c'est étrange mais bon. Le dessert se veut être du pain perdu, fait avec du pain de mie détrempé et baignant dans... du lait ??? Étrange aussi comme consistance et comme goût; seul Luc, le plus courageux, se ressert. Dans le contrat d'assurance pris, pour nous, par HumaniTerra, il est pourtant bien spécifié que la responsabilité d'HumaniTerra n'est pas engagée en cas d'intoxication alimentaire. Alors, Luc, kamikaze ou juste un peu téméraire ?

Nuit sans rêves au milieu des cadavres de moucherons.
6 h : la péniche se réveille, moi avec. Dans le matin qui pointe, Johnny passe la serpillère dans la coursive devant ma cabine. Débarbouillage vite fait et visite des patients en salle de réveil; ils vont bien. Mukta n'a plus de fièvre, me tend les bras, me sourit pour la première fois.
Dehors les drapeaux de Friendship et d'Emirates claquent dans le petit vent matinal qui fait clapoter l'eau du fleuve. Les pêcheurs ont déjà lancé leurs filets, une odeur d'oignons frits flotte sur le guest boat.
Runa, la fondatrice de Frienship, son fils et l'ambassadeur sont repartis hier et nous sommes de nouveau tous les quatre. Une orange au petit déje, royal ! Pleine de vitamines, il en faut. Je pars seule au bloc où Olivia me rejoint rapidement. Didier et Luc prennent leur temps, les mecs, quoi...




Demain, sur les conseils de Runa, nous prenons un RTT le matin. Départ en bateau vers 7 h 30 pour visiter un village sur une île voisine, nous n'opérerons que l'après-midi. Je suis heureuse de ce projet; important pour nous de voir qu'il y a une vie au delà du bastingage. Barberousse s'occupe du bateau et de notre guide, Didier commence à négocier de se lever plus tard et de partir plus tard mais nous, les trois autres, faisons front, c'est non,  Didier.

Cinq enfants au programme aujourd'hui entre 8 et 14 ans. Olivia m'aide à faire les ALR, à piquer les rachis, fait les pansements des opérés des deux premiers jours. Je suis contente de voir qu'elle prend ses marques; c'est une super infirmière, très gentille  très souriante. Elle a de l'expérience, ça se voit et elle s'investit vraiment à fond dans la mission.

Roticul
Roticul

Roticul, 8 ans, est notre premier petit patient; il a des brides rétractiles sur deux doigts de la main droite. Il est installé au bloc, somnole après son bloc axillaire, le champ est fait, Shahin est habillé, nous attendons Didier. Il arrive, 10 minutes plus tard. - "Vous m'attendez ?
- Non, non, Didier, on joue aux cartes... " Matinée dans la bonne humeur entre deux parties de cartes — ouaf ! ouaf ! — entrecoupées d'un bangla tchai. Recette : 3 litres de lait concentré sucré et quelques pincées de thé - "Dis donc, cuistot, tu t'es pas un peu gouré dans les proportions ?"

Les aubergines du repas de midi sont un régal et j'apprécie les attentions du cuisinier qui me prépare des légumes deux fois par jour puisqu'il sait que je suis végétarienne. Les autres savourent  une viande en sauce qu'ils accompagnent de pastis acheté à Dubai ... Faut c'ki faut ... "Dono bad", je remercie le cuisinier en bangla, trop forte la meuf !


Les cuisiniers. Johnny est à droite.



Le programme de l'après-midi se déroule plus vite que prévu et nous rajoutons une patiente, notée pour demain. Comme demain matin nous partons en croisière, c'est très bien d'avancer ce soir.
Je jongle un peu avec Massum, 8 ans, que Didier opère d'une fente palatine. Même combat qu'hier sous anesthésie locale et sédation mais hier 15 ans, aujourd'hui 8 ans, difficile d'expliquer et plutôt chaud à gérer. Mais il y a un Dieu pour les médecins anesthésistes humanitaires qui protège les enfants et les empêche de faire un arrêt respiratoire quand l'anesthésiste impuissant doit injecter des drogues pour faire dormir, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ..... Non, mais kesseke j'raconte  ? Pour faire dormir donc, sans  accès aux voies respiratoires. Massum en est la preuve... vivante... Puis-je ajouter -"Dieu merci ?"...


Massum
L'hôpital de la plage.






Il fait encore jour quand  nous terminons et nous montons faire la visite à l'hôpital de la plage. Tout le monde va bien; nous reconnaissons nos petits aux bandages encore blancs. Olivia refera les pansements demain. Nous sommes entourés par les uns et les autres, regards complices, sourires affectueux, c'est de cette grande famille que nous faisons partie.
Le coin cuisine est, un peu à l'abri, derrière les baraquements. Les femmes, accroupies autour des feux qui crépitent, épluchent de maigres légumes ou préparent de minuscules poissons faméliques pêchés dans la rivière. Le repas ne sera pas gargantuesque mais il sera. Deux œufs blancs s'entrechoquent dans une marmite d'eau bouillante noircie par les flammes.


La cuisine de l'hôpital.

Au milieu de ces gens, un sentiment de paix m'envahit, magie de l'instant où plus rien ne compte et où l'on voudrait que le temps s'arrête. Je sais que, cette fois encore, le retour au quotidien va être très difficile.
Là haut, sur le pont du bateau et dans l'indifférence générale, le capitaine psalmodie ses prières et se prosterne.



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