vendredi 6 avril 2012

Bangladesh lundi 26 mars 2012



Passage en salle de réveil avant de me coucher hier soir. Asanou et Asha dorment, Maria est calme, Mukta gémit parce qu'elle a mal et je la calme avec du Nubain. Nuit sans problèmes ensuite, elles ont toutes bien dormi.



Asanou

6 h 45 ce matin avant le petit déje : le pansement de Mukta a beaucoup saigné, sa maman est très inquiète. Je fais traduire de la laisser à jeun, nous referons le pansement ce matin sous anesthésie.
Sur le guest boat, le petit déjeuner est servi. Monsieur l'ambassadeur à la retraite discute sur le pont avec Olivia. C'est un grand et gros monsieur jovial, cheveux blancs dégarnis, sourcils épais et ventre proéminent. Il ingurgite en peu de temps deux omelettes dégoulinantes de graisse, une assiette de légumes banglas, deux grosses galettes soufflées cuites dans l'huile et qui ressemblent à des ballons de rugby et réclame, sans bouger de sa chaise, son  black  coffee; on sent qu'il a l'habitude d'être servi. Je viens de préparer mon thé; -"Et moi, j'pourrais pas avoir juste ma tranche de pain de mie grillé ?" Johnny se précipite, adorable Johny, tandis que Monsieur l'ambassadeur termine son pantagruélique repas du matin.





Didier émerge, je pars préparer le bloc. Grande matinée pour nous : nous opérons notre petite copine Morzina pour déplier sa deuxième jambe; bientôt elle pourra remarcher. Elle m'attend, sagement assise sur un lit, sourit en me voyant, nous nous embrassons. 






Quand Didier arrive, la rachi est piquée avec l'aide d'Olivia, Morzina dort, allongée sur le ventre, Shahin commence le champ. A la différence de la première fois, pas de malaise vagal, pas d'incidents. Forte de l'expérience d'octobre, je pense que je gère mieux, que j'anticipe d'avantage mais Didier a du mal à déplier la jambe gauche plus brûlée que la droite déjà opérée et il se casse la tête pour trouver des zones à peu près saines pour les prises de greffe. En 2 heures tout est plié ou plutôt déplié, nous faisons le pansement et Luc fait une attelle. Nous la ramenons dans son lit, elle se réveille doucement. Didier : - "T'as du Lovenox ? Faudrait pas qu'elle fasse une phlébite"  Moi - "Ben oui, bien sûr, t'en veux 1 ou 2 injections par jour ??? Non mais, coucou Didier, on se réveille, on est bien en mission humanitaire sur une péniche, au Bangladesh, et j'ai pas déménagé tous les médicaments que tu utilises à l'hôpital. Alors, j'te trouve de l'aspirine et ça fera fonction de prévention de phlébite".







Pause Nescafé... yessss !!! et fin du programme de la matinée en douceur avec le pansement de Mukta qui est plein de sang. Ça y est, le Nescafé humanitaire commence tout doucement à me ravager l'estomac.

Le couloir est blindé d'enfants qui cavalent ou de plus petits blottis dans les bras des mamans. Distribution de nounours et de ballons et puis dehors, avec Olivia, nous donnons  ce que j'ai comme lait en poudre, sachets de céréales pour les petits, de café pour les adultes. Rapidement ça frôle l'émeute, comme à chaque fois et, en un flash, me reviennent les images du Kosovo, toutes ces mains tendues vers... un morceau de pain... Avec ces cris, ces hurlements plutôt. Mon esprit, parti un instant vers les tentes blanches de cette autre mission, revient sur la péniche. Fin de la distribution, break déjeuner.

Je repars avec Olivia pour piquer le bloc axillaire d'Arifa, Cette petite fille de 8 ans a une rétraction complète, post brûlure, de l'avant-bras sur le bras droit et quelques rétractions des doigts. Je suis vraiment contente parce que mes ALR (ALR = anesthésie loco régionale pour les non initiés) marchent très bien, ce qui me permet de faire juste une petite sédation pendant l'intervention et d'avoir une bonne analgésie post-opératoire.


Arifa

Arifa
  
La fente labiale de Shaiful, grand garçon de 15 ans, va se faire, comme hier, en expliquant bien, sous anesthésie locale et petite ou plutôt grosse sédation parce qu'il a mal et qu'il bouge. Mais sans accès à la tête, c'est plus que chaud pour moi.

Shaiful


Alors que nous sommes au bloc, arrive, par bateau, une femme d'une soixantaine d'années, très gravement brûlée il y a... 21 jours!... dans l'incendie de sa maison. Elle a le dos, les fesses et toute la face postérieure des 2 membres inférieurs brûlés. Et elle est vivante, sans perfusion, sans antalgiques, sans rien finalement ! Elle ne gémit même pas pendant qu'un infirmier local fait son pansement, puis la perfuse sur nos conseils et repart, comme elle est venue, en bateau, à plat ventre sur une civière. James, le médecin de Friendship, nous dit qu'elle va être évacuée vers un centre de brûlés mais je ne comprends pas où et j'ai peine à imaginer le dit centre de brûlés.
Dans son lit, à côté du bloc, Morzina hurle, créant un stress bien inutile pour les autres patients et leurs familles. Je lui fais une tonne de calmants et elle se rendort.

Je n'arrive pas à croire que nous finissons notre deuxième journée opératoire. Les lits d'hospitalisation de la salle de réveil commencent à se remplir mais j'ai renvoyé ce matin Ashanou et Asha vers l'hôpital de la plage. La visite sous ces tôles est un pur moment de bonheur. À la lumière blafarde des ampoules crasseuses qui se balancent, au milieu de milliers de petits insectes qui tournoient, la vie bourdonne autour d'une gamelle partagée en famille, d'une dispute d'enfants, d'un cri de bébé. Est-ce la vie ? Juste la survie ? Non, nous sommes là pour les aider à continuer à vivre, conscients de ce privilège; nous sommes là pour nous remplir du sourire des enfants qui donnent à la vie une autre dimension repoussant le ciel vers des horizons d'espoir.



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