mercredi 21 mars 2012

Bangladesh vendredi 14 octobre 2011




Nuit de plomb de 0 h 30 à 5 h 30; impossible de me rendormir dans la lumière du jour qui se lève et la chaleur persistante. Par la fenêtre de ma cellule,  j'aperçois quelques hommes, quelques enfants, accroupis dans la terre humide, le regard vissé sur le bateau,  attendant le lever de rideau; petits signes de la main, sourires, je ne peux pas faire grand chose de plus pour eux.

À 6 h, je quitte le bateau pour un petit tour à l'hôpital de la plage et je suis assaillie. Il est vrai que j'apporte encore des cadeaux bien modestes et la distribution de savons, dentifrices, nounours fait un tabac ; ce sont quand même les sachets de bonbons qui restent en tête du hit-parade!!! Tels les arbres d'une forêt, les petites mains sales s'entremêlent et je repère les téméraires qui lèvent les deux bras, les timides qui restent un peu en retrait et les coquins qui, une fois servis, changent de place et reviennent dans la mêlée... Pour moi, un très bon moment...
Petit déje sur le guest boat où j'arrive la première. Debout, dehors, sur le pont, je regarde ce fleuve où un pêcheur, pieds nus dans l'eau glauque, vient de lancer un filet, j'écoute le teuf-teuf irrégulier du moteur de cette barque qui se dirige vers une île voisine. Surtout, j'ai peine à croire que nous partons demain et je n'ai pas, mais pas du tout, envie de rentrer pour retrouver les préoccupations du quotidien. Ici l'essentiel est autre et le quotidien de la vie confine à la survie.
Christiane me sort de mes rêveries; nous partageons ce breakfast avant de partir installer le bloc. Et voici Barberousse, tout de blanc vêtu - "everything's ok? " Didier vient de monter l'échelle verticale qui mène à notre salle de repas, à peine réveillé ; nous les laissons avec Marine qui a, elle aussi, un peu de mal à émerger et rêve depuis 3 jours d'une... grasse matinée!!! ...
Sur le programme concocté par Massoud à notre arrivée - lequel Massoud n'a, je vous rassure, pas perdu 1 gramme en une semaine!!! – il nous reste 1 seul patient, porteur d'une fente labiale, que nous opérons dès 8 h. Le reste de la journée se déroule tranquillement, au rythme des pansements d'une grande partie des  patients opérés cette semaine; nous finirons demain matin. Ce sont des gestes douloureux et nous faisons tous ces pansements sous anesthésie. Et pour l'unique fois de la semaine, nous nous offrons, à 11h, le luxe d'une pause café... INCREDIBOLE!!!! J'vous l'fais phonétique pour les non anglophones.

Une surprise m'attend à 14 h pour le repas, du fromage! Alors oui, c'est du fromage bangla, oui il a l'aspect d'une savonnette, oui il sent mauvais et oui il n'a de goût que celui de la tonne de sel qu'il contient mais moi je suis très, très contente et j'en mets partout, dans la multitude de petits plats rassemblés sur la table et qui contiennent tous les restes de la semaine!
Massoud débarque, l'œil noir, plus ventripotent que jamais. Il est fatigué, overbooké, au bord de l'explosion. S'il explose, celui-là, ça va faire de gros, de très gros dégâts! - "Too many patients!" - "Ben oui, mon gars, mais kesse tu crois? Ke ce sont les grandes vacances? La télé et les chips toute la journée, c'est vraiment pas bon pour c'ke t'as!" Il se vautre sur le canapé, je me décale un peu pour éviter l'enfouissement.

 À 18 h 30, il reste trois pansements que nous ferons demain. La nuit est tombée, contre-visite à l'hôpital de la plage. Ce soir, il y a des patients partout car la mission ophtalmo arrive demain et, comme ce sont des gestes courts, elle draine énormément de monde. Un deuxième préfabriqué a été ouvert et  une toile, tendue entre quatre piquets, sert d'abri de fortune à ceux qui dormiront par terre. Les moins chanceux dormiront eux aussi, par terre mais juste à l'abri de la lune... Plus loin, la petite échoppe de fortune fait le plein; le patron, assis sur des tréteaux, roule des feuilles de bétel et sert le thé à ces clients peu fortunés. À côté, un couple sans âge, accroupi devant le feu, regarde bouillir l'eau où tente de cuire du riz. Je m'installe à côté d'eux, ils me font de la place autour des brindilles qui crépitent.
Nous passons un long moment dans le hangar-hôpital où la lumière incertaine réchauffe les cœurs et fait briller les sourires des enfants. C'est étrange comme ici, ce soir, je me sens bien et je ne sais même pas où est le reste de l'équipe. Les enfants se disputent la place sur mes genoux, j'écoute leurs cris, je scrute leurs visages, je devine, plus que je ne vois, leurs pieds nus et leurs pagnes en lambeaux. La bataille est rude avec la multitude d'insectes qui me collent aux cheveux, rentrent dans mes yeux, mes oreilles, mon nez, dans un bourdonnement incessant que je finis par oublier.



 Ce soir, c'est la fête sur le bateau, un peu la soirée du commandant à la  fin d'une croisière sur un paquebot de luxe. Nous dînons avec tout l'équipage, équipe du bloc, de maintenance technique, de cuisine et nous dansons au rythme assourdissant d'une musique locale, ambiance... Échange de remerciements en Anglais avec le capitaine et dîner bien agréable. Je pose à notre OT nurse la question que je n'ai pas encore osé poser - combien gagne-t-il ? Lui qui, compte tenu de son "grade", est l'un des mieux payés sur le bateau,  gagne 24 000 takas par mois, soit 240 euros, en étant logé, nourri. La monnaie locale est le taka et 1 taka = 0,01 euro; 1 kg de riz coûte 30 takas, soit 30 centimes d'euro.

Dernière nuit sur La Péniche. Je repasse en salle de réveil. Distribution de calmants pour la nuit, retour dans ma cellule, j'ai du mal à m'endormir.

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