mercredi 21 mars 2012

Bangladesh mardi 11 octobre 2011




Nuit très moyenne malgré le Stilnox; je me réveille cinq ou six fois dans la nuit avec de violentes crampes aux jambes. Demain, il faut absolument que je boive plus dans la journée.
C'est toujours dans la même fournaise que nous prenons le petit déjeuner. Hier soir, Didier a demandé au cuisinier s'il y avait des chapatis, ces petits pains indiens, ronds et plats, délicieux. Surprise ce matin, voici les chapatis pour le petit déje; ils sont bien ronds, bien plats mais pas délicieux ; chacun d'entre eux baigne dans 10 litres d'huile - recette bangladeshi? - et je n'arrive pas à les manger. Christiane est elle aussi forfait, Didier et Marine s'y attaquent avec l'omelette dégoulinante de graisse qui les accompagne. Ça y est, ce matin le beurre est complètement rance mais il y a de la confiture de fraises, youpi!!!

À 7 h 45 nous sommes au bloc, Didier incise à 8h10 et n'en revient pas; à Marseille il attend trois plombes avant de démarrer son programme! Oui, mais nous on est très forts et motivés à fond. Le premier enfant de 14 mois ne pèse que 5 kg et l'anesthésie, sans filet, pas trop facile à gérer. Je l'enveloppe dans une couverture d'alu pour qu'il n'ait pas froid et je dépose, en salle de réveil, mon bébé en papillote, que sa maman veut déjà mettre au sein.
Les deux suivants sont des enfants de 8 et 10 ans, ayant juste des petites brides de doigt que Didier opère sous anesthésie locale pendant que je les fais simplement somnoler. Au réveil, distribution de cadeaux, bonbons, colliers, bracelets, savons et dentifrices. Le sourire des enfants et le visage radieux des mamans sont le plus beau des cadeaux et je savoure ces moments magiques, le bonheur d'être là, tout simplement.



Ruhul Amin a 20 ans et un sourire éclatant au milieu de son visage brûlé, teint très mat, épaisse chevelure noire encadrant des traits qui ont du être fins; il est tombé dans l'eau bouillante quand il était enfant. Les cicatrices rétractiles de son visage et de son cou limitent l'ouverture de la bouche et l'extension de la tête. Pas question de l'opérer sans intubation; par contre, sa main gauche est une boule compacte où tous les doigts sont symphisés ; c'est à elle que Didier, aidé cette fois par Christiane,  va s'attaquer pour tenter de lui redonner une fonctionnalité. Comme d'hab, Didier me charrie sur le bloc axillaire qui bien sûr ne va pas marcher; je l'expédie, au pont supérieur, boire un café pour piquer, dans le calme, aidée par Christiane, mon anesthésie loco régionale. Pim, pam, poum, je choppe les nerfs en moins de cinq secondes et je n'y crois pas moi-même car je reste novice sur ce type d'anesthésie. Vu ce que Didier fait maintenant subir aux doigts pour les déplier, je confirme, mon bloc marche, il marche même très bien. L'intervention se prolonge, Ruhul Amin commence à bouger, Didier à s'énerver parce que c'est difficile. Je l'endors, assez profondément pour qu'il ne bouge pas d'un poil, Didier a incisé il y a plus de deux heures et n'est pas au bout du chemin. Funambule de l'anesthésie, je vois, avec soulagement, arriver la fin du cauchemar...  Cinq heures plus tard!!! Il est plus de 16 h et nous n'avons pas déjeuné. Après l'installation en salle de réveil, je les rejoins autour de la table sur laquelle veille notre Johnny national. Didier est un peu en colère parce qu'il n'y aura pas de suivi sur les patients lourds qu'il opère. C'est vrai que c'est difficile mais il faut tout noter, laisser des consignes précises à Massoud pour les broches et les pansements et voir avec Humaniterra comment organiser l'enchaînement des missions de chirurgie plastique pour gérer le post op à moyen-long terme pour toute cette "grosse" chirurgie. Il faut surtout continuer à croire en ce que l'on fait et garder l'espoir chevillé au corps.
Marine, elle, est cassée, hors jeu et nous demande comment on tient le rythme...
Fin du repas, café sur le pont extérieur de La Péniche, j'ai l'impression qu'il fait un peu moins chaud. Sur la berge, les enfants et les femmes sont au spectacle et passent des heures à regarder le bateau. Les mains qui s'agitent s'accompagnent de cris pour attirer notre attention et font signe de les prendre en photo, je bombarde.

En salle de réveil, la valse des lits musicaux continue.  Plusieurs opérés sont partis à "l'hôpital de la plage" - tiens, ça pourrait faire le titre d'un livre - pour faire de la place aux autres. Jobeda et Morzina sont déplacées; installées l'une à côté de l'autre, elles échangent leurs impressions sur leurs jambes bloquées dans une attelle plâtrée. Leur visage est incroyablement rayonnant et j'ai droit à un sourire et un petit signe de la main complice chaque fois que je passe à côté de leur lit. Je leur porte des colliers et des échantillons de parfum et leurs yeux s'illuminent d'un rayon de soleil.

Retour au bloc à 17 heures, il reste deux patients au programme, un enfant sous anesthésie générale, un adulte sous bloc axillaire - fastoche!!! - et nous finissons ce soir encore à... 20 h 30...
Reste la contre-visite à faire à l'hôpital de la plage ; même malaise qu'hier, mêmes difficultés à repérer nos opérés dans la pénombre au milieu d'une horde d'enfants et d'insectes... d'insectes et d'enfants... je ne sais pas lesquels sont les plus nombreux...



Au pas de course sous la douche et nous nous retrouvons pour le dîner devant un cuisinier éberlué, complètement à la rue, qui tente en vain de comprendre nos horaires de repas. Ce soir il a fait fort en matière d'équilibre alimentaire: soupe traditionnelle au manioc, frites et pâtes qui se disputent le taux le plus élevé de gras, viande à la sauce au gras et le dessert qu'il essaye de nous fourguer depuis trois jours, très couleur locale, boules de sucre roulées dans le miel et plongées dans la friture, au secours!!! Christiane grignote, je ne mange rien mais nous avons déjeuné à 17 h; conforme à leurs habitudes, Marine qui a toujours faim et Didier font honneur au repas.
Sur le pont extérieur, ce soir, l'air est respirable, nous devrions mieux dormir.
Demain matin nous commençons le bloc à 8 h 30 seulement pour aller faire un tour sur l'île et découvrir ses habitants et leurs maisons. Au rythme imposé au bloc, nous n'aurons jamais le temps de descendre du bateau et de voir ce qui se passe au delà du bastingage. Didier est ok pour... dormir un peu plus longtemps et ne pas venir avec nous... Marine réfléchit; Christiane et moi sommes à fond sur ce projet découverte avant une nouvelle journée de bloc au taquet.

 Ce soir, grâce sans doute à une chaleur plus supportable, je me sens moins fatiguée. Marine répète en boucle - "comment faites vous pour être aussi en forme et enthousiastes de 8 h à 20 h?"  Et ça nous fait marrer.
Didier, reposé après la douche et le repas, met ses neurones en ordre de bataille pour imaginer un plan B pour suivre ses opérés: on vient huit jours, on opère non stop et on revient, les mêmes, deux ou trois semaines  plus tard  pour refaire tout les pansements sous anesthésie, enlever les broches et gérer les problèmes. Si Humaniterra accepte, je suis partante avec la même équipe. À suivre...
Demain le jour se lèvera sur d'autres patients, d'autres soucis, d'autres galères. Ce soir le contrat est rempli et nous avons mérité de nous reposer.

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