mercredi 21 mars 2012

Bangladesh mercredi 12 octobre 2011




Comme prévu ce matin, petite déje vite avalé à 7 h et promenade sur l'île avant de bosser, juste une toute petite récréation de 45'.  Marine s'est levée et vient avec nous, Didier dort encore. Nous ne sommes pas longtemps seules, les enfants nous ont repérées sur la passerelle et affluent vers nous. Tous veulent nous emmener dans leur maison, nous prennent la main, nous tirent par le bras. J'ai apporté des petits savons, des bonbons, des nounours, du thé, des dosettes de café pour les hommes, je suis dévalisée et il n'y en a, bien sûr, pas assez pour tout le monde. Je mesure la tristesse de ceux qui n'ont rien eu... Comment faire ? ...

Je pense que l'info donnée par Massoud le premier jour concernant la population de l'île est erronée. Il n'y a pas 80 000 habitants sur cette langue de terre. Les maisons sont très espacées ; chacune a une cour intérieure et la maison en tôle est un gourbi, mais bien rangé et propre. Dehors, accroupies devant le feu, les femmes préparent le repas ; plus loin, assis par terre devant une gamelle en fer cabossée, les petits mangent le riz, à pleines mains, tartinant leur visage des grains blancs qui collent.
L'île est recouverte de rizières, l'eau est partout, propice à cette plantation et malgré la chaleur qui commence déjà à monter, le chemin sur lequel courent les petits pieds nus, est boueux.

8 h, retour au Friendship Hospital; je m'aperçois que, de sentiers boueux en chemins marécageux, les enfants nous ont fait faire un grand tour. Par les fenêtres du guest boat, j'aperçois Didier attablé pour le petit déje.
Barberousse, le capitaine du bateau qui nous a accueillis le premier jour, était parti à Dacca par l'hydravion qui nous a amenés et vient de revenir... en bus... puis en barque... 1 jour 1/2 de voyage. Il serre chaleureusement la main de chacun, veut savoir si tout va bien, si nous sommes bien installés et demande qu'on nous serve un café. Alors moi, pour le Nespresso, ce sera capsule verte, celle que je préfère.
Finie la rigolade, non mais, on n'est pas en vacances, en croisière sur le Nil!

Alamin, 4 ans, nous attend, assis sagement sur les genoux de son papa. Ce petit garçon de 4 ans a de graves brulures des fesses et du périnée après être tombé dans une bassine d'eau bouillante; les brides rétractiles bloquent ses cuisses serrées l'une contre l'autre et il ne peut plus marcher. Quand on le ramène en salle de réveil, ses cuisses sont libres, ses jambes bien écartées, il pourra bientôt courir avec ses copains.

Entre deux interventions, j'interroge Shahin, notre OT nurse, sur l'organisation du personnel. Il m'explique qu'ils font des vacations de 45 jours sur le bateau, employés par Friendship. Puis ils rentrent chez eux pour dix jours de break - trajet en barque jusqu'à l'île voisine où ils prennent le bus, un à deux jours de voyage, la galère - lui habite à 500 km  à l'ouest, Angelina à 1000 km, au sud. Ce que je crois savoir, c'est que leur diplôme d'infirmiers n'est pas suffisant pour travailler dans les hôpitaux du Bangladesh et c'est comme cela qu'ils sont un peu "tenus" par Friendship ; ce que je sais, c'est que pendant leurs 45 jours de vacation, ils restent constamment sur le bateau, travaillent sur le bateau, mangent sur le bateau, dorment sur le bateau et que les conditions de vie sont difficiles; ce que je n'ose pas demander, c'est combien ils sont payés.

Sathi, 9 ans, petite fille courageuse aux cheveux coupés courts, me donne la main, en confiance, et nous marchons jusqu'au bloc. Elle aussi a une main brûlée rendue inutile par la rétraction des doigts. Sous sédation, je fais facilement un bloc axillaire sur ce tout petit bras qu'elle m'abandonne. Didier l'opère pendant que je la fais dormir et Marine lui bricole une attelle qu'elle installe en fin d'intervention.
La patiente suivante est magnifique avec sa longue natte brune mais son sourire est cassé par cette vilaine fente labiale. Elle sort du bloc heureuse et regarde déjà dans la glace son nouveau visage, son nouveau sourire.

Pause déjeuner ; de nouveau Barberousse, en djellaba blanche immaculée, vient vérifier le menu, s'assurer que nous ne manquons de rien...  la classe, cette croisière! Un Nespresso! .... euh... un Nescafé! et c'est reparti pour le bloc.

Brûlure de jambe avec rétraction pour Jasmin, 10 ans, brûlures de la main pour Shahinu, 14 ans. Au rythme des excisions, plasties et autres lambeaux, l'après-midi avance vite.  Nous reprenons ensuite Jodeba, opérée dimanche, pour faire une greffe de peau car le dermatome n'est arrivé que lundi.
Nous finissons par Ruhul Amin, intervention de cinq heures hier pour reconstruction de sa main. Deux doigts ont une coloration douteuse et il a mal dans son attelle plâtrée. Une fois l'attelle défaite, le tableau est un peu moins alarmant, quoique... Réfection du pansement, repositionnement des doigts dans une nouvelle attelle,  nouveau pansement vendredi.

Ce soir, c'est à 19 h 30 que nous écrivons fin sur le programme de la journée.
Départ pour la visite à l'hôpital de la plage; nous y avons, chaque soir, plus de patients. A cette heure moins tardive qu'hier, beaucoup sont assis, par groupes, autour d'une gamelle de riz qu'ils partagent, piochant chacun avec leurs mains pas très propres... Ils sont contents de nous voir et plusieurs femmes me tirent par le bras pour m'emmener près de leur enfant. Elles me caressent les cheveux, ne lâchent pas ma main et je décline plusieurs invitations à dîner... Ce soir, ce lieu me paraît plus familier et nous y restons un long moment avec Christiane, assises sur les nattes de bois inconfortables, juste pour nous imprégner de l'ambiance, juste pour partager l'instant. Le retour à la civilisation, dans quelques jours, s'annonce rude; il nous faut faire provision de belles images.
Pour une fois Johnny nous voit arriver à une heure normale pour dîner. Entrée de Barberousse avec le grand livre du bateau où chaque passager doit noter son identité, ses fonctions et ses dates de séjour sur La Péniche. De nouveau il nous demande si tout va bien à bord et si nous sommes contents de notre séjour.
Comme il n'est pas trop tard, je mets au propre, pour Humaniterra, la liste des patients que nous avons opérés jusqu'à ce soir. Je finirai samedi.
Il est 23 heures quand je quitte Didier qui fume son sacro-saint cigare du soir sur le pont. Christiane et Marine sont déjà couchées, je rejoins ma cellule pour la nuit.

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