mercredi 21 mars 2012

Bangladesh dimanche 9 octobre 2011



À 8 h, comme convenu, nous sommes tous les quatre au bloc. Marine découvre et s'émerveille de sa nouvelle expérience. Nous, nous découvrons le bloc, minuscule, 15 mètres carrés à tout casser en poussant fort les murs.
Celina est l'infirmière qui gère les huit lits de salle de réveil, servant aussi de lits d'hospitalisation pour les premières 24 heures post op. Petite, menue, une longue tresse brune roulée dans le dos, ses traits fins et son sourire enjôleur, la rendent ravissante et nous allons très vite devenir amies. Une fois gérée la phase aigüe, les patients seront débarqués sur la grève, sur les planches de bois, sous les toits de tôle. Pour la nuit ils seront surveillés par une autre infirmière et je descendrai en cas de problème. Angélina, tout aussi jolie et souriante, est OT nurse avec Shahin qui va s'habiller pour aider Didier, prérogative du mâle; je crois comprendre qu'il y a entre eux une certaine lutte de pouvoir... Tous parlent plutôt bien Anglais et cela nous permet de communiquer; c'est donc en anglais que je vais faire les prescriptions pour le post op.
Après le cagnard extérieur, la clim du bloc fait du bien; il fait même limite froid pour les petits. Je découvre ce que je savais: je dois travailler avec rien ou presque, uniquement de la kétamine et une petite bouteille d'oxygène à utiliser avec parcimonie compte tenu des difficultés d'approvisionnement. Pour seule surveillance, j'ai une mini saturation digitale, point barre. Massoud qui devait aider Didier à opérer toute la semaine, est aux abonnés absents et nous ne le verrons pas au bloc de la journée. Je dois dire que, compte tenu de son gabarit et de la taille du bloc, il vaut mieux qu'il n'y rentre pas.

Atia est une petite fille de 6 ans, grièvement brûlée sur le thorax. Elle arrive au bloc en pleurant et serre dans ses bras la grosse peluche que je viens de lui donner.
Yassin a 8 ans, petit bonhomme courageux, il ravale ses larmes en nous montrant sa main droite. Les séquelles de brûlures sont tellement importantes que deux de ses doigts sont retournés à 180 degrés sur le dos de sa main.
Les interventions sont longues, compliquées pour Didier, douloureuses pour les enfants. Pour moi c'est navigation, à vue, sans radar, sans boussole, tout au feeling. Assez de kétamine pour que l'enfant n'ait pas mal, pas trop pour qu'il continue à respirer; ça roule plutôt bien et Didier peut travailler comme il le souhaite.
À 15 h nous demandons le break. Déjeuner rapide mais sympa, fait de poisson pêché dans le bourbier de la rivière sur laquelle nous flottons. Forme étrange, goût étrange, plutôt bon; avec un peu moins d'huile, ça ne serait pas plus mal mais ce sont les habitudes locales.
Retour au bloc pour prendre en charge Ousmeira, 12 ans, qui a des cicatrices étendues de brûlures sur le thorax, le bras et la main gauches dont le pouce, bloqué par une bride, fait avec l'index un angle de 120 degrés. Didier incise les brides, fait des plasties, réaligne le pouce, greffe de la peau pendant que je m'efforce de tenir le cap.
Un thé vite avalé, entre les 2 derniers patients, nous permet de découvrir notre Massoud, vautré dans un canapé, dans la salle de repos, au 1er étage du bateau, les yeux rivés sur la télé qui diffuse un feuilleton américain débile, la main plongeant dans un bol de mini-frites apéro es spéciale bangladeshi, trempées dans du pili pili à vous faire cracher le feu. Son ventre déborde tellement qu'on ne voit pas ses cuisses et quand il se lève, nous le découvrons drapé dans un tissu bariolé, du plus bel effet, qui lui va à ravir. Bon, s'il ne vient pas au bloc, c'est qu'il a des occupations autres et s'il est... enveloppé... ça n'est pas forcément par hasard.
Il est déjà 18 h 30 quand Jobeda rentre en salle. Elle a 32 ans et sa jambe droite a  été tellement brûlée qu'elle est bloquée, en flexion, le talon contre la fesse. C'est sous rachi et à plat ventre que Didier travaille et que je gère, moi, sur ce même plat ventre, un énorme malaise, au moment où il remet la jambe en extension. Nous apprenons qu'au moment de son accident, elle tenait son bébé dans les bras; le bébé est mort et son mari l'a plaquée... C'est sa maman qui reste avec elle à l'hôpital.

Il est presque 21 h quand nous installons notre dernière opérée au réveil, à côté des trois autres, après avoir annulé le dernier patient du programme concocté par Massoud. Une infirmière et un infirmier se partagent la nuit tandis que le personnel de jour dort sur des couchettes dans des coursives au fond du bateau, sous le bloc et la salle de réveil, à côté de la salle des machines, dans une fournaise que brasse désespérément un ventilateur poussif...
Douche avant de dîner selon le même cérémonial qu'hier, à l'eau froide et les pieds dans le baquet. Même si c'est avec l'eau du fleuve, on se lave et ça fait du bien dans cette chaleur étouffante que le staff local qualifie d'exceptionnelle.  L'air est tellement saturé d'humidité que mes chaussettes de contention, mises dans l'avion et lavées hier soir, ne sont pas encore sèches et que ma serviette de douche reste poisseuse!!!

Il est 23 h, je viens de repasser en salle de réveil où petits et grands dorment paisiblement, les mamans presque couchées sur leurs enfants pour les protéger. Jodeba ouvre un œil et me fait signe d'approcher. "Beta atse"? (tu as mal?) - "Na (non)". Elle me tend la main, et me serre  dans ses bras puis m'embrasse; je crois qu'elle veut juste me dire merci. Je caresse sa joue maigre, je l'embrasse aussi et nous nous quittons sur un petit signe de la main. J'ai, ce soir, une nouvelle amie.

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