mercredi 21 mars 2012

Bangladesh samedi 15 octobre 2011




Réveil habituel au lever du soleil, dernier petit déje. La confiture, de groseille du jour -???? Y a un dessin sur le pot qui l'indique -  est complètement moisie.

 L'entrée du bloc ce matin est un véritable dépotoir, mais qu'est-ce que c'est que ce bordel? Au milieu d'une montagne de cartons vides, de pansements sales et de compresses  puantes qui traînent par terre,  d'énormes cafards font la fête. Ben voyons, pourquoi s' gêner? Allez, on remballe les cartons, on balance 200 litres d'insecticide à la rose et quand Didier arrive, the leader, comme l'appelle le capitaine, tout est clean et j'endors le premier petit pour refaire le pansement. Tout est plié à dix heures, fin des pansements, bloc nettoyé et rangé et c'est l'heure de la photo de famille, passage obligatoire pour Friendship. Dehors, avec nos patients opérés et le staff local du bloc, nous posons pour la postérité dans une joyeuse ambiance de fête foraine.

 10 h 15, arrivée du capitaine; timing serré, il nous annonce l'arrivée proche de l'hydravion. So, - "Quickly, quickly, your luggage on the guest boat". – Ok, ok, cap'tain. Didier et Marine filent vers le dit guest boat où ils ont dormi, Christiane et moi bouclons nos sacs dans nos cabines du bateau hôpital, sac d'ailleurs très vite bouclés puisqu'une fois vidés matériel et médicaments pour la mission, nous n'avons rien.


Sur le pont du guest boat... L'hydravion est annoncé sous peu. Sur les berges noires de monde, en plein soleil, une foule compacte attend de pouvoir embarquer pour la consultation. Le "tri" des patients pour la chirurgie ophtalmo est déjà fait, car ils sont stickés sur le front avec un numéro. Nous apercevons un chanceux, le 3, puis le 89 qui va devoir s'armer de patience et mijoter encore un moment au soleil. Un peu plus loin, le 14 et le 36 échangent leurs impressions.


Et brusquement, alors que nous n'avons rien entendu ni rien vu, la foule se met à crier et à courir. L'oiseau de fer arrive du sud, sortant de la brume de chaleur et c'est un moment de fête. À bord de sa barque à moteur, le capitaine part récupérer les arrivants de la mission ophtalmo. Ils sont trois: le chirurgien, une infirmière et une anesthésiste. Top chrono, nous avons trois minutes pour faire les transmissions à l'anesthésiste et l'infirmière qui vont s'occuper de refaire les pansements de tous nos p'tits loups. Mais comme nous sommes très forts et très organisés, nous avons tout mis en détail par écrit. À priori, les deux savent lire, nous sommes sauvés. L'anesthésiste qui doit peser trois fois mon poids, est essoufflée et nous annonce qu'il fait chaud - ça, merci, on le savait déjà - . C'est sa première mission humanitaire et je sens comme un vent de panique quand je lui annonce qu'il y a plein d'enfants, que même y en a des tout petits et que même y faut les endormir pour les pansements because ça fait très très mal. - "Ah bon? Y a des enfants? Mais je fais comment?" Ben ma vieille, tu gères, ça j’lui dis pas mais je le pense très fort et d'ailleurs, le temps qui nous est imparti étant écoulé, nous sautons sur la barquasse où piaffe le capitaine car le pilote nous attend pour redécoller. Et c'est à ce moment-là que Didier s'aperçoit que le capitaine a débarqué son sac dans la coursive où s'entassent les bagages des arrivants!
Bon - 1, on ne rit pas, - 2, on vérifie chacun nos sacs - ça y est, le compte est bon - et - 3, on se cramponne, car le moteur,  plein gaz, nous propulse sur le fleuve, en direction de l'hydravion où nous retrouvons, avec un bonheur réciproque, le même pilote qu'à l'aller. Il fait lui aussi partie d'une ONG, MAF (Mission Aviation Fellowship) et c'est sans doute pour cela que le courant passe si bien entre nous.  Sur la terre, non ferme car très boueuse, comme à notre arrivée, la foule est immense. Tous nos patients sont là, au premier rang, et j'ai envie de pleurer. Magie et tristesse du départ tandis que toutes les mains multicolores s'agitent dans le fracas des moteurs pour nous dire au revoir. Mais cette fois, les mains ont pour nous un visage. L'oiseau s'élève sans grâce, les mains se fondent en une seule, un seul visage, un seul sourire, nous sommes déjà haut, nous sommes déjà loin. J'ai un sentiment de trop peu, de trop court, d'inachevé ;  je sais qu'une partie de mon cœur est restée là-bas, sur cette péniche où nous avons déjà décidé de revenir. Comment reprendre le quotidien dans deux jours? Comment raconter? Comment partager? Seuls ceux qui m'aiment pourront comprendre l'amour donné, l'amour reçu, la fatigue accumulée, l'énergie dépensée pour le seule bonheur du sourire d'un enfant, du regard d'une maman.

Malgré le bruit du vol, Marine et Didier dorment. Le nez collé à la vitre, Christiane et moi engrangeons des images. Survol de Dacca, 10 millions d'habitants, plus pourri, tu meurs. Un représentant de Friendship nous attend pour nous conduire à l'hôtel. La ville est polluée, bruyante, surpeuplée. Même périple qu'à Delhi, mêmes embouteillages monstrueux, mêmes cris, mêmes klaxons, mêmes mendiants, mêmes rickshaws et même pas d'intérêt.
Demain il faudra voler vers Dubai où nous dormons, puis nous séparer. Lundi je serai à Paris, les autres atterriront à Nice. Qu'importe, notre cœur à tous les quatre ne fera qu'un et continuera à battre sur cette péniche posée là-haut, tout en haut du Bangladesh, au milieu de nulle part, loin de tout mais proche de ces gens vers qui bientôt, c'est sûr, nous reviendrons.   

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