Courte
nuit, j'ai beaucoup de mal à m'endormir et à me lever à 7h. Le bon petit déje de
l'hôtel fait du bien.
J'arrive à l'hôpital à 8h et le premier enfant est en salle à 8 h 15, mais je suis seule avec lui et, tandis que je prépare les drogues, il saute de la table en hurlant et sort
du bloc en courant tout nu dans le couloir. Dans la pièce d'à côté, trois infirmières n'ont pas levé le petit doigt, je sens que
je vais les tarter. Je rattrape le petit alors que le deuxième enfant vient d'arriver et je mets une infirmière en salle pour les surveiller tous les deux. Il est 9 h,
impossible de commencer à travailler, je n'ai pas
d'anesthésiste, pas d'infirmière anesthésiste, pas les clés du placard où sont rangés les cathéters pour perfuser, c'est la déroute complète. La surveillante du bloc répète en boucle : barko, barko,
barko, c'est-à-dire qu'il n'y a rien et que
je ne peux pas travailler. Jacques devait faire un cours et, comme tous les
jours, Battorgil vient d'annuler sans
que personne n'y comprenne rien et c'est complètement décourageant. C'est à 10 h que débarquent, en traînant les pieds, une IADE et un
anesthésiste avec les clés. On va enfin pouvoir commencer à bosser.
Altangerel,
5 ans, a des brides rétractiles du pied, Thomas va
l'opérer sous rachi et sédation. Turerdene est un petit bonhomme de 10 ans, d'un
calme qui fait peur, paraplégique depuis l'enfance et qui
présente une énorme escarre de la fesse, très profonde, avec ostéïte, un gigantesque chantier auquel s'attelle Delphine et
qui va durer 3 heures. Anesthésie générale, intubation et
installation sur le ventre. L'anesthésiste a disparu, l'IADE
bouquine dans un coin, j'essaye de garder un œil sur les 2 scopes en même temps, ça roule.
Le
prochain enfant de 10 ans a des rétractions importantes de la
main mais ne veut pas se faire opérer. En cachette de ses
parents, il mange et nous sommes obligés d'annuler l'intervention.
À 10 h 30, Didier débarque, le cheveu en bataille, il a bien dormi, merci.
Jacques
est parti à l'Ambassade de France et
revient avec l'Ambassadeur qui veut nous rencontrer. Didier et Jacques partent
discuter dans un bureau avec lui et
tenter de faire le point. Je suis toujours au bloc avec Delphine qui galère sur l'escarre du petit; il a beaucoup saigné et il est translucide. Nous demandons du sang, il sera
transfusé en post opératoire.
Delphine |
Didier
revient raconter la rencontre très fructueuse avec l'
Ambassadeur. Il marche à fond sur la mission brûlés, veut venir avec nous à Khvod en octobre et s'occupe, avec le ministère des finances mongol, de faire dédouaner notre fret bloqué à Ulan Baatar depuis plus de 6 mois. S'il fait ce qu'il dit,
on va pouvoir avancer, mais... parole d'Ambassadeur... à suivre...
Didier et Thomas (au 2e plan) |
Saran
m'annonce que mon sac est localisé et arrive demain matin. Il
arriverait donc par l'avion par lequel nous repartons à Moscou. Je n'y crois même plus et je demande à Saran de voir avec Aeroflot pour la réexpédition directe de ce sac en
France. J'évalue l'étendue du gâchis en pensant aux trésors qu'il contient et je me demande comment mon sac, s'il
arrive à Paris, va reprendre un avion
pour Pau... Wait and see...
Pause
repas pique-nique dans le bureau de Khisghee et reprise peu avant 15 h avec une
jeune femme de 28 ans, Oyungerel, qui a de dramatiques séquelles rétractiles de brûlures de la face, du cou, du thorax et des bras. C'est la
patiente épileptique que nous avons vue
lundi en consultation. Elle entrouvre à peine la bouche et sa tête est bloquée en légère flexion. Intubation très difficile mais réussie, avec l'aide de Jacques,
Delphine à côté prête à faire une trachéotomie en urgence. Delphine, Khishgee, Didier et Thomas, quatre
chirurgiens travaillent en même temps pour lâcher les brides, faire tourner des lambeaux, prendre des
greffes. Et c'est au bout de plus de 4 heures de ce joyeux festival que je suis
autorisée à amorcer le réveil. Il est 20h30; compte tenu de son épilepsie, nous n'avons pas envie de trop stimuler notre
patiente. Nous la transférons intubée dans le service de réa de l'unité de traumato où Boya, l'anesthésiste qui est de garde, va la prendre en charge. Nous
apprenons, quelques heures plus tard par téléphone, qu'elle va bien et qu'elle s'est réveillée sans problèmes.
Comme à chaque fin de mission, nous dînons au restaurant avec nos interprètes et les chirurgiens mongols. Repas coréen bien arrosé où la bière coule à flots tandis que Didier fait son traditionnel discours de
remerciement à l'équipe mongole. Il est vrai qu'ils nous accueillent toujours
avec une grande gentillesse mais que l'installation récente des brûlés dans l'hôpital de traumato a rendu une
machine — jusque là bien rodée — très lourde à remettre en route.
Je suis épuisée par la journée et l'énergie dépensée pour tenter d'avancer. J'ai
l'impression que l'on tire dans un sens et les Mongols dans l'autre. Cette
structure est énorme et tous les rouages bien
huilés de l'hôpital des brûlés sont grippés. Il va falloir du temps à Khishgee pour de nouveau progresser et le dynamisme
flegmatique de Battorgil ne va pas beaucoup la porter. Mais l'intervention de l'Ambassadeur
redonne des raisons d'espérer.
Fin de
mission explosive dans une boîte de nuit branchée d'Ulan Baatar où la vodka donne le ton. Au
rythme d'une musique techno à faire exploser les tympans,
les corps se lâchent et se déchaînent dans une explosion de rayons
lumineux multicolores qui hachent les silhouettes à en devenir fou. Mais cette folie de l'instant après les horreurs de la semaine est sans doute nécessaire et c'est peut-être aussi cela l'humanitaire.
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