lundi 25 juin 2012

Mongolie mardi 19 juin 2012



Première au petit déje, Delphine me rejoint, je pars seule à l'hôpital où j'arrive à 8h. Le bloc se réveille et j'impose la cadence. En moins de 15 minutes, Nominjin, petite fille de 6 ans est en salle et de grosses larmes roulent sur ces joues tandis qu'elle regarde sa maman s'éloigner. Je voudrais lui dire de ne pas avoir peur, je voudrais lui donner une grosse peluche pour la rassurer, je vais juste la serrer dans mes bras et rapidement l'endormir pour que Delphine déplie les vilaines brides de sa main droite brûlée.
L'homme de 36 ans que l'on vient d'installer sur la table à côté est aussi grand que gros et gras; son visage joufflu rayonne d'un sourire éclatant, témoignant de la confiance qu'il met en l'équipe chirurgicale. Son pied droit brûlé est dévoré par une vilaine plaie nécrosée, nauséabonde, mettant les tendons à nus. Boya, l'anesthésiste mongol - et gentil ! - vient d'arriver. Il pique la rachi. Il est 8h30, les patients sont cadrés, la petite dort, la rachi s'installe; manquent à l'appel les chirurgiens français qui arrivent tranquillement à 9h. En fait, à l'hôtel, ils n'ont plus d'eau chaude dans leur chambre et ont tous défilé dans la nôtre pour se doucher... Delphine s'habille rapidement et commence à opérer. Thomas, lui, n'en croit pas ses yeux de voir que tout est opérationnel et qu'on l'attend. Bisous à Delphine, consignes à Boya, nous partons pour l'aéroport après avoir récupéré Stéphanie, la fille de Didier, qui vient avec nous.







Une excellente surprise nous attend à l'aéroport, le vol est retardé à 15h ou tout simplement annulé, personne ne sait. Euh.... par hasard, y a pas quelqu'un ka vu passer mon sac ???... Didier demande à parler au chef de je n' sais pas quoi, juste histoire de l'engueuler un bon coup et de soulager la tension quelque peu palpable que je sens monter. Alors maintenant on respire à fond, on reste zen et on cherche une solution de rechange. On cherche et même on trouve un vol direct pour Khvod en début d'après-midi, sur une autre compagnie qui nous met sur liste d'attente, confirmation à 12h30. Si ok, on zappe les 200 km et les 6h de piste prévus et on peut même, peut-être, rentrer demain.

Non, on n'est pas à Lourdes et je me demande si le film que je vois se dérouler est réel ou non. Au milieu de l'aéroport, un brancard transporte un patient. Il s'agit en fait d'une jeune femme gravement brûlée - visage, thorax, bras - qui était encore en réa à l'hôpital ce matin. Sa mère, qui refuse la greffe, l'a sortie contre avis médical et tente de la ramener à la maison dans le Caucase, mais la compagnie aérienne ne  veut pas l'embarquer. Didier fait traduire qu'elle va mourir, mais la mère est butée et nous les abandonnons à leur sort  bien incertain.



Direction la cafeteria. Khishgee a faim, l'interprète veut absolument que je mange pour "prendre de l'avance" parce qu'il n'y a que de la viande à Khvod. Mais il est 11h30, j'ai pris un bon petit déje à l'hôtel et l'odeur de bouffe de ce resto me donne déjà envie de vomir.
12h30 : le vol est confirmé, ouf ! Reste à prendre les billets et, comme ici, rien n'est jamais simple, l'affaire se corse à nouveau. Didier et Racha,  l'interprète, emportent nos passeports et disparaissent par l'escalier qui descend vers les bureaux d'Aero Mongolia. Kishghee, Stéphanie et moi attendons tranquillement devant l'enregistrement. Je me plonge dans un livre et je sursaute en voyant Didier, furieux, réapparaître en haut du dit escalier :
- Didier : " On annule tout, j'en ai marre, on rentre à l'hôpital "
- moi : " Mais kessekiss passe ?
- D. : " Ces connards ne savent pas ce qu'est une carte de crédit et je dois tout payer en liquide "
- moi : " Ah ouaih ! Et ça fait combien de tugriks ? "
- D : " 3 millions ! Tu t'rends compte ? Mais j'te dis ki sont complètement tarés!"
Explications : 1 euro = 1650 tugriks, alors pour payer nos billets d'avion et transporter 3 millions de tugriks, faut une brouette et, de brouette...ben... on n'en n'a pas...
Silence dans les rangs, l'interprète, terrorisée, me lance des appels de détresse. Didier debout trépigne et veut qu'on appelle un taxi pour rentrer.
Khisghee tente dans un Français hésitant : " tu sais Didier, y a beaucoup de malades qui t'attendent à l'hôpital de Khovd "
- D : " J'men fous, j'te dis qu'on annule et qu'on s'casse ".
L'interprète, toujours tétanisée, me regarde d'un air interrogateur et ses yeux clignotent au rythme d'un SOS. Au risque de me faire une fois encore engueuler, je décide de prendre la main pour un ultime joker. J'embarque l'interprète par l'escalier maudit vers le bureau d'Aero Mongolia, sans laisser le temps à Didier de m'intercepter. Il est 13h30 et le décollage est prévu à 14h... J'appelle Saran, notre interprète de toujours, et je lui demande si elle peut débloquer la situation via l'agence de voyage qu'elle connaît et où elle avait initialement réservé les billets du vol de 15h qui ne va pas décoller. En 10 minutes, tout est booké, nos places sont réservées et Didier pourra les payer, en rentrant, à l'agence, avec une carte de crédit. Tout sera donc clean pour rendre les comptes à MDM.
Nous remontons et distribuons les passeports et les billets à trois paires d'yeux ébahis.
- " Ben... Comment t'as fait ?
- Cherche pas, tu paieras en rentrant à l'agence de Saran "
Il est 13h55 et nous récupérons nos cartes d'embarquement. Contrôle scanner des bagages en courant; nous ne courons pas longtemps. Les bagages de Khishgee sont ouverts et là j'hallucine. Elle a emporté un dermatome pour pouvoir opérer - pour les non initiés, c'est un appareil métallique qui ressemble à un long épluche légumes, permettant de prélever de la peau fine pour les greffes de brûlés - et elle a aussi cinq bouteilles de bière et un couteau suisse multi fonctions pour pouvoir les ouvrir ! Elle nous explique qu'à Khvod on ne trouve pas de bière, alors... pour faire plaisir à Didier... Ça m'a vraiment l'air cool Khovd !!! Le plaisir va s'arrêter là; c'est la fin du voyage pour dermatome, couteau et bières qui sont confisqués.
C'est aussi la fin du voyage pour l'un d'entre nous car un employé de la compagnie nous annonce que l'une de nos places a été donnée... à un député ! Didier déglutit, au bord de l'explosion.
Khishgee : - " Je reste "
Stéphanie : - " Je reste "
L'interprète me murmure à l'oreille : - " Il reste 30 minutes pour décider" et c'est finalement Stéphanie qui gagne le voyage.
Nous dévalons les marches, sautons dans le bus et embarquons dans un Fokker 50 pour un vol de 2h50 vers Khovd où nous allons retarder nos montres d'une heure pour cause de décalage horaire. Les hostilités gastronomiques commencent avec ce délicieux sandwich à la viande servi à bord et que je ne prends pas. Je sors de mon sac le reste de pizza végétarienne mis dans un doggy bag et que m'a gardé hier soir ma petite Delphine, inquiète de me voir partir vers cette contrée lointaine où une végétarienne, en séjour prolongé - ce qui n'est, pour cette fois, pas mon cas - risque de se désagréger et de mourir de faim.
18 h : atterrissage. Comme la plupart des passagers de ce petit avion, je me lève. L'hôtesse me demande où je vais. Où je vais ? Mais à Khvod, bien sûr! En fait nous ne sommes pas à Khvod mais en escale, en plein désert, à Ulan Goom. Nous sommes autorisés à descendre et à marcher sur le tarmac pour nous dégourdir les jambes. Retour dans l'avion pour 30 minutes de vol et cette fois c'est bon, bienvenue à Khvod. Il est 17h10, heure locale. Khvod, 30 000 habitants, 1700 m d'altitude, posée en plein désert au pied de l'Altaï,  au bout du bout du monde et au fin fond de nulle part, entourée de hautes montagnes, aux sommets enneigés qui culminent à 4500 m d'altitude.






Nous sommes attendus par trois chirurgiens souriants et sympathiques et par la directrice de l'hôpital qui est médecin interniste. C'est une femme un peu forte, à l'abord assez froid et à l'air sévère, robe noire au jabot de dentelles qui s'avère, à l'usage, très autoritaire mais plutôt  gentille. Direction l'hôtel.  Buyant Hotel avec, dans le désordre, ses chambres kitsch aux édredons qui brillent, ses odeurs qui prennent à la gorge, ses salles de bain pourries avec eau chaude de 18 à 19 h, ses poubelles déjà pleines, ses cendriers remplis de mégots, ses savonnettes barko - barko, mot favori des mongols = il n'y en n'a pas ou plus - ses toilettes qui ne se vident pas et dont l'eau coule sans arrêt donnant au séjour une tonalité bucolique. Buyan Hotel tel que je l'espérais et qui mérite de figurer dans le Lonely Planet de Jacques. Il est 17h45 et le dîner est prêt ! Pas possible d'y échapper car l'équipe de médecins qui nous accueillent l'a commandé exprès pour nous; ils nous invitent et partagent avec nous  ce repas. On nous sert d'abord une chope à bière d'1/2 litre d'eau bouillante et je commence à m'inquiéter quand arrivent - oh soulagement ! - des sachets de thé. Les  bonnes surprises continuent puisque le repas est composé d'un délicieux poisson pêché dans la rivière proche et, même si à cette heure de l'après-midi, nous n'avons pas très faim, nous nous régalons. Didier explique via Racha, notre interprète, ce que nous faisons à Ulan Baatar et propose de venir travailler, sur le même principe, avec eux. Ils semblent très demandeurs mais ce qui m'inquiète, moi, c'est la logistique qui doit être anticipée et sans failles : acheminement du fret par avion jusqu'à UB puis par route jusqu'à Khvod, 36 h de trajet. La logistique MDM est-elle capable d'anticiper et de relever ce défi sans planter, car en cas de plantage on ne peut pas du tout travailler ?
Après le repas, ils nous emmènent au bord de la rivière : yourtes plantées ça et là, chevaux qui s'ébrouent dans le petit vent qui se lève et rafraîchit l'atmosphère, herbe verte où il fait bon se poser, le calme et la paix qui font du bien après l'agitation désordonnée et insensée de l'aéroport ce matin. Les 300 marches que nous montons maintenant nous amènent en haut d'une colline qui surplombe la ville. Point de vue superbe dans le jour qui décline où le soleil nous tire doucement sa révérence en inondant les glaciers; maisons de couleurs et yourtes posées en ordre dispersé, toit doré d'une mosquée qui brille au loin et tout autour, la steppe désertique qui s'étire paresseusement jusqu'au pied des montagnes. Étendant leurs ailes de toute leur envergure, des aigles nous survolent comme pour marquer leur territoire et nous savourons ce moment privilégié dans ce paysage de carte postale où nous espérons vraiment revenir travailler.







Retour à l'hôtel et balade à pied dans cette petite ville aux trois feux rouges où l'animation est au calme plat et où le centre ville est réduit à sa plus simple expression.
À l'hôtel, barko eau chaude because trop tard et des lits sans matelas réduits à une planche de bois et aux oreillers étranges remplis, d'après Racha, avec des grains de blé. Si elle le dit... De toute façon, il n'y a pas d'autre choix que de tenter l'expérience.
Par prudence, nous commandons le petit déje pour demain. Nous déclinons les haricots, le mouton et autres mongolesqueries, nous optons pour du thé, du café, des yaourts mais barko et nous espérons avoir du pain de mie et Didier des œufs au plat. Mais pourquoi ai-je un doute sur ce petit déjeuner ?
Je partage la chambre avec Racha, Didier avec Stéphanie.
Les médecins viennent nous chercher à 8 h demain matin.





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