lundi 25 juin 2012

Mongolie dimanche 17 juin 2012


Ulan Baatar


Bonne nuit malgré la chaleur et bon petit déje où j'arrive la première et où tout est parfait. Thé, Nescafé, œufs frits et saucisses... beurk!.., mais aussi jus de fruits, quartiers de pommes et d'oranges, pain, beurre, confiture... Royal !
Delphine me rejoint, suivie de Pauline. Suite du classement : Jacques, Didier et loin derrière, Thomas. Je quitte la pièce avant l'arrivée d'Eric.
Je pars seule à l'hôpital dans l'espoir de récupérer mes sacs dont l'arrivée de Berlin... on ne rit pas... est prévue à 6 heures ce matin. Il fait déjà chaud et la route est poussiéreuse. Dehors, devant l'hôpital, des patients assis sur des murettes en pierre, discutent enveloppés dans les volutes de fumées de leurs cigarettes.
Quelques errances dans les couloirs de cet hôpital que je ne connais pas, me conduisent à la porte du bureau de Khishgee, fermé, of course; personne n'est arrivé. Le bloc, par contre, est ouvert : dans cette pièce plutôt vaste, je découvre deux tables d'opération côte à côte, un respirateur rudimentaire mais tout à fait fonctionnel, deux scopes, mais le scope que j'ai acheté et offert il y a deux ans a juste... disparu et personne ne sait où il est... Je le retrouve en fouillant dans une réserve, enfoui dans un carton poussiéreux, mais on me dit qu'il ne marche plus. Je vérifie; effectivement le moteur qui prend la TA ne s'enclenche pas et je ne sais pas du tout comment je vais gérer. Le rapporter en France et tenter de le faire réparer ??? Sans doute...
Je récupère un gros sac où j'ai laissé des médicaments lors de la dernière mission, des tenues de bloc, des sabots. Il reste de quoi endormir quelques patients et j'apprends  que mes sacs ne sont pas arrivés à l'avion. Une fois encore, par respect pour mon chef chéri,  je ne parle ni des sacs prioritaires ni du rush mais j'ai quand même une pensée pour les 2000 euros que Médecins Du Monde, subventionné par LOréal pour l'Opération Sourire - merci Liliane ! - a dû larguer pour la surcharge de bagages. Arriveront ? Arriveront pas ? Demain ou plus tard peut-être...  J'ai une brosse à dents, un peigne et je n'ai aucune fringue pour me changer... Je n'ai pas mon stimulateur de nerfs, pas d'antibiotiques, pas de paracétamol injectable, je n'ai pas grand chose, juste un petit coup de blues passager parce qu'il faut absolument bien travailler.





Je demande le premier patient; c'est une petite fille de 9 ans, Erdenechemeg, qui présente des séquelles de brûlures très étendues de tout le dos, des fesses et de la face postérieure des deux membres inférieurs. Allongée sur le ventre, ses yeux ne regardent rien, son visage est figé, sa tristesse infinie et je n'ai même pas un collier, un bracelet pour tenter de lui redonner le sourire.

Erdenechemeg
Ces cadeaux-là sont aussi dans mes sacs, oubliés dans un aéroport ou dans la soute d'un avion. Bien sûr, sa perfusion diffuse et il faut la repiquer, non sans mal car elle a déjà été énormément perfusée. Un petit cathlon posé sur l'avant-bras ne la fait même pas pleurer; j'aimerais qu'elle hurle, qu'elle manifeste, qu'elle ne subisse pas tout sans rien dire, mais elle a déjà tellement subi qu'on dirait qu'elle regarde son corps comme s'il ne lui appartenait plus. L'anesthésie générale se passe bien, aidée par Amsré, infirmière anesthésiste que je connais bien, qui a toujours l'air de s'emmerder prodigieusement et qui ne fait que le minimum syndical. Mais elle fait. Grosse déception de cette mission, Otron, mon infirmière anesth préférée, dynamique, passionnée et d'une rare compétence, que je forme depuis tant d'années, a été mutée aux urgences et je ne sais pas si je pourrai la voir pour lui offrir les bijoux et les parfums que je lui ai apportés.







Delphine s'habille et commence à opérer la fillette pour enlever un ballon d'expansion
infecté et réséquer quelques cicatrices tandis que, dans la même salle et sur la table à côté, Didier, aidé de Thomas, va gérer, sous ALR (anesthésie loco régionale), une grosse brûlure électrique de la face palmaire de la main gauche par un "lambeau chinois" dont il a le secret.
Je réveille sans problèmes ma petite fille triste qui repart avec sa maman sur un brancard que je regarde disparaître au bout du couloir.

La patiente suivante est une adulte de 30 ans, gênée par une bride de la face interne du coude droit; résection et greffe sous ALR, pas de souci particulier.
Il est 14h15 quand les 2 patients sortent de salle.


Nous devons déjeuner à la cantine de l'hôpital sauf que, dimanche oblige, la cantine est fermée. Nous  allons donc pique-niquer dans une petite pièce que j'ai demandé qu'on me libère pour ranger mon matériel si, par miracle, il arrive et que Didier appelle pompeusement "ton bureau". Ben ouais !!! C'est ki l'chef ici ? Y faut juste savoir demander à la bonne personne et au bon moment et hop ! T'as un bureau ! Trop fastoche !
C'est donc dans MON bureau qu'on nous apporte deux grosses boites de Burger King, contenant des pilons de poulet frit et des frites au ketchup. Ben voilà, c'est bon, je vais regarder les autres manger en espérant trouver demain, à la cantine, un semblant de repas végétarien. Un très mauvais Nescafé me défonce l'estomac et nous reprenons le programme.
Pendant que Jacques part en réa aider à faire des pansements sous Kétamine, nous opérons au bloc deux patients sous rachi anesthésie. L'homme de 38 ans s'est brûlé le dos il y a un mois dans un accident où sa moto a pris feu; Delphine, aidée par une chirurgien mongole, fait des greffes et, spectacle incroyable, le patient, couché sur le  ventre pendant l'intervention, envoie des textos sur son portable !



Sur la table à côté, une femme de 34 ans, subit sa cinquième intervention pour de grosses séquelles de brûlures du périnée; elle est tombée sur des braises brûlantes à l'âge de trois ans... C'est Didier qui gère et cette cohabitation de deux interventions simultanées dans la même pièce est plutôt pratique pour moi car elle me permet, campée au milieu du bloc, d'avoir un œil sur les deux patients en même temps. Et jusqu'à maintenant le calme règne, c'est la paix des ménages et le bonheur pour tous.
Pendant que je pique la rachi de la dame en lui demandant dix fois si je ne lui fais pas mal, un jeune anesthésiste mongol bourru pique à côté de moi la rachi de l'autre patient. Tandis que les rachis s'installent, Byamba, notre interprète qui ne nous quitte pas au bloc,  me dit que les patients s'étonnent que nous soyons aussi gentils car "les anesthésistes mongols sont des brutes et traitent les malades comme des animaux". J'ai déjà remarqué leur manque de chaleur et d'empathie, mais la comparaison me fait peur. Les chirurgiens mongols, par contre, sont toutes et tous très gentils, permettant l'équilibre.
Fin du bloc, il est 18h30. Nous prenons connaissance du programme de demain qui ne me paraît pas gérable car il y a quatre patients sous anesthésie générale sur six dont deux tout petits et un seul respirateur. Je demande à Khishgee de le modifier pour que nous ayons ensemble au même moment dans la salle, un patient sous AG et un sous rachi ou ALR.



Quand nous quittons l'hôpital, le ciel est gris et quelques gouttes de pluie tentent de réchauffer une atmosphère un peu lourde. Retour à l'hôtel où Delphine tente vainement de faire démarrer un gros ventilateur. Dans la chambre en face, Didier, drapé dans un peignoir blanc, regarde un Mongol réparer sa douche où l'eau coule glacée. Je ne sais pas si l'eau de Didier est chaude maintenant, mais je sais par contre qu'on nous a échangé
un ventilateur cassé contre une clim qui marche et dont le mode d'emploi est en coréen.

Jacques vient de potasser le Lonely Planet où il a trouvé un resto végétarien. Pour me faire plaisir et comme je n'ai rien mangé à midi, nous y allons ce soir. N'y allez surtout pas, sans intérêt aucun, on mange mieux à la maison...

Demain est un grand jour, nous allons peut-être récupérer nos sacs et le matériel médical. En attendant ce grand moment, Jacques a été s'acheter un caleçon mongol rouge aux motifs de dragons qui devrait ravir sa femme.
 







  


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