AVERTISSEMENT
Il est bien délicat de témoigner d'une mission de chirurgie des brûlés. Ne pas illustrer notre difficile travail pourrait être trompeur, mais les photos de brûlures sont pénibles à regarder. Malgré mes efforts de retenue dans ce domaine, il est inévitable que certaines images puissent vous paraître choquantes. Elles ne sont que l'illustration de la triste réalité.
Débarquement à Ulan Baatar, il est 6 h 45,
heure locale. Formalités de police et rassemblement
de chariots pour récupérer nos 19 sacs et cartons confondus. Le tapis roulant démarre, nous sommes tous à l'affût. Delphine pique un sac qu'elle croit être à moi et qui appartient à une jeune fille qui se précipite pour se l'approprier.
Les sacs noirs succèdent aux sacs noirs et font le
tour du manège. Fin de la livraison des
bagages, force est de constater que les nôtres n'y sont pas. Par respect
pour mon chef chéri, je ne dis pas un mot sur
les bagages prioritaires et le rush... Saran, notre interprète, récupérée dans le hall d'accueil avec Battorgil, le directeur de
l'hôpital, vient nous aider pour
les réclamations. Résumé de l'affaire : mes sacs sont à Berlin ... ben ouais ! C'est pas du tout la peine de
rire... et devraient arriver demain par un vol de la MIAT, le reste ne sera là que lundi par le prochain vol d'Aeroflot.
Battorgil
qui a anticipé notre arrivée prévue avec trois tonnes de matériel, est venu avec une ambulance pour tout transporter. Et
c'est finalement toutes sirènes hurlantes que l'ambulance,
chargée d'une partie de l'équipe, quitte en urgence le parking de l'aéroport, direction l'hôtel, une vraie série américaine. Les autres suivent en
voiture. Notre hôtel, Gobi Complex, est situé loin du centre ville, à proximité de l'hôpital de traumato où nous pouvons nous rendre à pied. C'est un lieu un peu
kitsch, mais confortable et le petit déjeuner que l'on nous sert à l'arrivée est le bienvenu. Certains démarrent à la bière, pourquoi pas... Il est vrai qu'avec la fatigue et le décalage horaire, on ne sait plus très bien où l'on en est.
Douche,
petite sieste et départ à 14 h pour l'hôpital où nous retrouvons Khishgee, la chirurgien responsable du
service des brûlés, qui vient de passer un mois à Lyon, pour se former, dans le service de Delphine.
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Khishgee |
L'hôpital des brûlés où nous travaillons
habituellement, a déménagé la semaine dernière sur l'hôpital de traumatologie car il
va être détruit et totalement reconstruit : bâtiment moderne et plus grand, service d'urgences et de réanimation, locaux adaptés à cette pathologie spécifique. Jacques est venu les
aider à préparer cet ambitieux projet qui devrait aboutir dans trois
ou quatre ans.
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L'hôpital de traumatologie |
Les
patients nous attendent et défilent pour la consultation.
Nous en voyons une trentaine, en majorité des enfants présentant pour la plupart des séquelles de brûlures de gravité variable. Mes sacs étant ... à Berlin ou ailleurs ... je ne
peux pas, à mon grand regret, commencer
la distribution de peluches; ce sera pour demain.
Visite
dans le service où quelques enfants vont être opérés cette semaine. Brûlures aiguës ou séquellaires, enfants qui
dorment ou se rassurent accrochés au sein de leur mère, sourires échangés, regards partagés, gold standard d'une mission
où chacun est venu pour s'investir à fond.
La réanimation est le domaine d'une jeune femme chirurgien,
effacée et discrète. Elle règne sur ce petit royaume où la prise en charge des patients a fait un bond
impressionnant. Il y a là un petit de 10 mois, tombé il y a quatre jours dans une bassine d'eau bouillante, brûlé à 60 %. Il pourrait être mort, il vit, perfusé par un cathéter sous clavier, sous
morphine à la seringue électrique, prise en charge exceptionnelle dans ces conditions
de travail quelque peu précaires. Jacques, spécialiste en réa brûlés, est impressionné. Moi aussi, je dois dire et je n'arrive pas à détacher mes yeux de ce petit
visage rond, emmaillotté de bandes blanches qui se
calme lorsque sa maman se couche presque sur lui pour lui donner le sein.
Dans le
lit d'à côté, un homme jeune très grièvement brûlé dans un incendie, respire
difficilement. L'odeur nauséabonde de l'infection plane
au-dessus de lui tandis que la mort, tapie en embuscade, rode autour de ses
futures proies que l'équipe soignante s'acharne à maintenir en vie et à ne pas lâcher. Nous quittons la réa, il mourra dans la nuit.
Dans la
chambre d'à côté, un petit garçon de trois ans est prostré, le regard fixe, totalement
vide. Il ne bouge pas, il ne pleure pas, il ne crie pas. Écrasé par sa douleur, enfermé avec elle dans son corps mutilé, il présente une atonie psycho-motrice.
Celui que les médecins croient être un enfant sage, est en fait un enfant en danger qui ne
manifeste plus rien et je me sens là encore en grand désarroi, sentiment d'impuissance, d'inutilité absolue.
Retour
dans le bureau de Khishgee pour faire le programme de demain, cinq patients.
Nous opérerons dans un seul bloc où se trouvent deux tables, joyeux bordel annoncé.
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