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Ulan Baatar |
Bonne
nuit malgré la chaleur et bon petit déje où j'arrive la première et où tout est parfait. Thé, Nescafé, œufs frits et saucisses... beurk!.., mais aussi jus de
fruits, quartiers de pommes et d'oranges, pain, beurre, confiture... Royal !
Delphine
me rejoint, suivie de Pauline. Suite du classement : Jacques, Didier et loin
derrière, Thomas. Je quitte la pièce avant l'arrivée d'Eric.
Je pars
seule à l'hôpital dans l'espoir de récupérer mes sacs dont l'arrivée de Berlin... on ne rit
pas... est prévue à 6 heures ce matin. Il fait déjà chaud et la route est poussiéreuse. Dehors, devant l'hôpital, des patients assis sur des murettes en pierre,
discutent enveloppés dans les volutes de fumées de leurs cigarettes.
Quelques
errances dans les couloirs de cet hôpital que je ne connais pas,
me conduisent à la porte du bureau de
Khishgee, fermé, of course; personne n'est
arrivé. Le bloc, par contre, est
ouvert : dans cette pièce plutôt vaste, je découvre deux tables d'opération côte à côte, un respirateur rudimentaire
mais tout à fait fonctionnel, deux scopes,
mais le scope que j'ai acheté et offert il y a deux ans a
juste... disparu et personne ne sait où il est... Je le retrouve en
fouillant dans une réserve, enfoui dans un carton
poussiéreux, mais on me dit qu'il ne
marche plus. Je vérifie; effectivement le moteur
qui prend la TA ne s'enclenche pas et je ne sais pas du tout comment je vais gérer. Le rapporter en France et tenter de le faire réparer ??? Sans doute...
Je récupère un gros sac où j'ai laissé des médicaments lors de la dernière mission, des tenues de
bloc, des sabots. Il reste de quoi endormir quelques patients et
j'apprends que mes sacs ne sont pas
arrivés à l'avion. Une fois encore, par respect pour mon chef chéri, je ne parle ni
des sacs prioritaires ni du rush mais j'ai quand même une pensée pour les 2000 euros que Médecins Du Monde, subventionné par L’Oréal pour l'Opération Sourire - merci Liliane ! - a dû larguer pour la surcharge de bagages. Arriveront ?
Arriveront pas ? Demain ou plus tard peut-être... J'ai une brosse à dents, un peigne et je n'ai aucune fringue pour me
changer... Je n'ai pas mon stimulateur de nerfs, pas d'antibiotiques, pas de
paracétamol injectable, je n'ai pas
grand chose, juste un petit coup de blues passager parce qu'il faut absolument
bien travailler.
Je
demande le premier patient; c'est une petite fille de 9 ans, Erdenechemeg, qui
présente des séquelles de brûlures très étendues de tout le dos, des
fesses et de la face postérieure des deux membres inférieurs. Allongée sur le ventre, ses yeux ne regardent
rien, son visage est figé, sa tristesse infinie et je
n'ai même pas un collier, un bracelet
pour tenter de lui redonner le sourire.
Ces cadeaux-là sont aussi dans mes sacs, oubliés dans un aéroport ou dans la soute d'un
avion. Bien sûr, sa perfusion diffuse et il
faut la repiquer, non sans mal car elle a déjà été énormément perfusée. Un petit cathlon posé sur l'avant-bras ne la fait même pas pleurer; j'aimerais qu'elle hurle, qu'elle
manifeste, qu'elle ne subisse pas tout sans rien dire, mais elle a déjà tellement subi qu'on dirait
qu'elle regarde son corps comme s'il ne lui appartenait plus. L'anesthésie générale se passe bien, aidée par Amsré, infirmière anesthésiste que je connais bien, qui a toujours l'air de
s'emmerder prodigieusement et qui ne fait que le minimum syndical. Mais elle
fait. Grosse déception de cette mission,
Otron, mon infirmière anesth préférée, dynamique, passionnée et d'une rare compétence, que je forme depuis tant d'années, a été mutée aux urgences et je ne sais
pas si je pourrai la voir pour lui offrir les bijoux et les parfums que je lui
ai apportés.
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Erdenechemeg |
Delphine
s'habille et commence à opérer la fillette pour enlever un ballon d'expansion
infecté et réséquer quelques cicatrices tandis que, dans la même salle et sur la table à côté, Didier, aidé de Thomas, va gérer, sous ALR (anesthésie loco régionale), une grosse brûlure électrique de la face palmaire
de la main gauche par un "lambeau chinois" dont il a le secret.
Je réveille sans problèmes ma petite fille triste qui
repart avec sa maman sur un brancard que je regarde disparaître au bout du couloir.
La
patiente suivante est une adulte de 30 ans, gênée par une bride de la face interne du coude droit; résection et greffe sous ALR, pas de souci particulier.
Il est
14h15 quand les 2 patients sortent de salle.
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C'est
donc dans MON bureau qu'on nous apporte deux grosses boites de Burger King,
contenant des pilons de poulet frit et des frites au ketchup. Ben voilà, c'est bon, je vais regarder les autres manger en espérant trouver demain, à la cantine, un semblant de
repas végétarien. Un très mauvais Nescafé me défonce l'estomac et nous
reprenons le programme.
Pendant
que Jacques part en réa aider à faire des pansements sous Kétamine, nous opérons au bloc deux patients sous rachi anesthésie. L'homme de 38 ans s'est brûlé le dos il y a un mois dans un
accident où sa moto a pris feu; Delphine,
aidée par une chirurgien mongole,
fait des greffes et, spectacle incroyable, le patient, couché sur le ventre
pendant l'intervention, envoie des textos sur son portable !
Sur la table à côté, une femme de 34 ans, subit sa cinquième intervention pour de grosses séquelles de brûlures du périnée; elle est tombée sur des braises brûlantes à l'âge de trois ans... C'est Didier qui gère et cette cohabitation de deux interventions simultanées dans la même pièce est plutôt pratique pour moi car elle me permet, campée au milieu du bloc, d'avoir un œil sur les deux patients en même temps. Et jusqu'à maintenant le calme règne, c'est la paix des ménages et le bonheur pour tous.
Sur la table à côté, une femme de 34 ans, subit sa cinquième intervention pour de grosses séquelles de brûlures du périnée; elle est tombée sur des braises brûlantes à l'âge de trois ans... C'est Didier qui gère et cette cohabitation de deux interventions simultanées dans la même pièce est plutôt pratique pour moi car elle me permet, campée au milieu du bloc, d'avoir un œil sur les deux patients en même temps. Et jusqu'à maintenant le calme règne, c'est la paix des ménages et le bonheur pour tous.
Pendant
que je pique la rachi de la dame en lui demandant dix fois si je ne lui fais
pas mal, un jeune anesthésiste mongol bourru pique à côté de moi la rachi de l'autre patient. Tandis que les rachis
s'installent, Byamba, notre interprète qui ne nous quitte pas au
bloc, me dit que les patients s'étonnent que nous soyons aussi gentils car "les anesthésistes mongols sont des brutes et traitent les malades
comme des animaux". J'ai déjà remarqué leur manque de chaleur et
d'empathie, mais la comparaison me fait peur. Les chirurgiens mongols, par
contre, sont toutes et tous très gentils, permettant l'équilibre.
Fin du
bloc, il est 18h30. Nous prenons connaissance du programme de demain qui ne me
paraît pas gérable car il y a quatre patients sous anesthésie générale sur six dont deux tout petits et un seul respirateur.
Je demande à Khishgee de le modifier pour
que nous ayons ensemble au même moment dans la salle, un
patient sous AG et un sous rachi ou ALR.
Quand
nous quittons l'hôpital, le ciel est gris et
quelques gouttes de pluie tentent de réchauffer une atmosphère un peu lourde. Retour à l'hôtel où Delphine tente vainement de
faire démarrer un gros ventilateur.
Dans la chambre en face, Didier, drapé dans un peignoir blanc,
regarde un Mongol réparer sa douche où l'eau coule glacée. Je ne sais pas si l'eau de
Didier est chaude maintenant, mais je sais par contre qu'on nous a échangé
un
ventilateur cassé contre une clim qui marche et
dont le mode d'emploi est en coréen.
Jacques
vient de potasser le Lonely Planet où il a trouvé un resto végétarien. Pour me faire plaisir et comme je n'ai rien mangé à midi, nous y allons ce soir.
N'y allez surtout pas, sans intérêt aucun, on mange mieux à la maison...
Demain
est un grand jour, nous allons peut-être récupérer nos sacs et le matériel médical. En attendant ce grand
moment, Jacques a été s'acheter un caleçon mongol rouge aux motifs de
dragons qui devrait ravir sa femme.
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